LITTÉRATURE INFANTILE à partir de 2 ans... |
R de réel
Volume E (septembre-octobre 2000) Critique (Articles) |
- Les enfants ne sont pas des jeunes - Il n'y a pas de littérature pour enfants - Sandra la marmotte, par N. de Crécy Et la mise en application des principes:
1. Télérama du 28.VI.2000 et Le Monde des livres
du 30.VI.2000. Retour texte
2. À paraître dans la même collection, un ouvrage
sur Apollinaire : faudra-t-il titrer Le Apollinaire, ou L’Apollinaire ? Réponse : Le Apollinaire. Retour texte
3. Isabelle Jan, La littérature enfantine, Les éditions
ouvrières, 1985. Retour texte
4. Pipicacapopot, texte Magdalena, illustrations Laurent Richard,
Père Castor Flammarion, 2000. Retour texte
5. Guide des romans jeunesse, Fnac, 2000. Retour texte
6. Mademoiselle Zizi a-t-elle un zizi ?, Nathan, 1998. Les mots
en « Z » sont considérés comme spécialement
enfantins : on trouve ainsi, au détour des rayons, Zaza la vache,
J’adore Zizette, Zizanie... Retour texte
7. L’été rouge, Michel Grisolia, 1996. Retour texte
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Au début de l’été, les journaux ont proposé,
comme à leur habitude, une sélection d’ouvrages « pour
l’été ». Occasion pour R de réel de se
pencher sur quelques titres censés être le meilleur de l’édition
dite « jeunesse » - et, plus généralement, sur
quelques (mauvaises) tendances de la production actuelle.
Qu’on le sache, la jeunesse est un âge compris entre de 2 (ou 3) et 13 ans : Télérama(1) indique que sa sélection va « de 3 à 13 ans » ; Le Monde quant à lui ratisse plus large, puisque ses premiers ouvrages peuvent être lus « à partir de 2 ans » (les enfants des lecteurs du Monde sont-ils plus éveillés ou leurs parents sont-ils plus orgueilleux ?). Après « à partir de 13 ans » (et jusque 77 ?), fini la jeunesse. Dans le cas d’une interdiction d’un film à des moins de 12 ou 16 ans, une limite chiffrée paraît acceptable, puisqu’il faut bien un critère. Mais que signifie cette indication inversée (plus de...) pour inciter les lecteurs, indication qui a le défaut d’être stigmatisante (celui qui lit un livre « à partir de 8 ans » à l’âge de 12 ans est-il dans la norme ?) ? La comparaison avec le cinéma est d’ailleurs instructive, puisqu’aucun dessin animé, genre a priori dédié aux enfants, n’est recommandé « à partir de... » par une mention sur son affiche. Ce qui vaut pour le cinéma ne vaut-il pas pour la littérature ? À moins que les éditeurs ne considèrent que, si ce sont les enfants qui poussent leurs parents à aller au cinéma, dans le cas des livres, ce sont les parents qui font le geste d’acheter, et qu’il leur faut, pour gagner du temps (pourquoi regarder le livre, le lire ?) savoir si l’objet désiré s’adresse bien à leur enfant. Seconde chose que le naïf découvre en lisant une sélection de livres « pour la jeunesse » : il y a deux types de livres pour enfants, les « albums » et les « romans ». Cette distinction semble être un repère virtuel mettant d’un côté les livres fins, larges, aux nombreuses illustrations, et de l’autre les livres épais, de petit format, peu illustrés, plus « littéraires ». L’édition pour jeunesse ayant déjà inventé les tranches d’âge, on ne voit pas l’intérêt de cette seconde distinction, qui semble redondante (puisqu’il semble qu’un livre « à partir de 12 ans » ne pourra jamais être un album ni un « à partir de 3 ans » un roman). Autre distinction, légitime celle-là : la distinction entre la littérature et les livres dits documentaires (encyclopédies, livres scientifiques, livres d’art...). Parmi ces derniers, repérés à la fois par Le Monde et Télérama : Le Van Gogh et Le Desnos. On se dit qu’il y a une faute dans le journal, que ce n’est pas vraiment le titre. Mais si : la collection « Il faut passer le pont », coéditée par Dada et Mango Jeunesse, publie une série de livre sur ce modèle — Le Rimbaud, Le Verlaine, Le Baudelaire, sélection de textes de ces auteurs illustrés par un artiste contemporain. Écrire Le Desnos, c’est au choix, se croire provençal, créer une formule absurde grammaticalement (après, il ne faudra pas se plaindre si les enfants disent « la Géraldine »(2)), ou avoir la mégalomanie de penser qu’on publie le texte définitif sur le poète en question. Lorsqu’il s’agit de Desnos, admettons le choix des textes et des images (inspirées des collages dadaïstes). Mais pour Van Gogh, ici considéré comme un auteur (en l’occurrence, des lettres à son frère Théo), quel sens y a-t-il à faire des illustrations ? « Oser faire de l’image sur les lettres formidables de Vincent à son frère, sans plagier ni singer le peintre le plus populaire de l’enfance [sens de ce qualificatif ?], relève de la folie. Avec intelligence et surtout une modestie incroyable [sens de cette remarque ?], Gérard Mathie a su atteindre l’équilibre idéal. » (Le Monde) Or que sont, sinon un plagiat et un singage, ces collages de morceaux de tableaux de Van Gogh les uns sur les autres ou sur des fonds uniformes ? Quel sens cela a-t-il de dénaturer les tableaux de Van Gogh, alors qu’il suffisait de faire une sélection de lettres de Van Gogh et de les illustrer par ses tableaux (puisque c’est « le peintre le plus populaire de l’enfance »), ou, au contraire, par des images résolument différentes ? Maintenant, la littérature. « Il manque à leurs
personnages deux éléments essentiels : l’inquiétude
et le devenir. Leur état d’enfance n’est jamais en devenir. [...]
Non seulement il n’est pas question pour eux de grandir, mais il semble
même qu’ils n’en auront jamais la possibilité »(3). Cette
remarque d’Isabelle Jan (à propos d’albums de la collection Père
Castor) est particulièrement vraie pour tout une partie de la littérature
qui s’adresse aux enfants, et qui pose comme principe essentiel qu’il faut
parler aux enfants de choses qui les concernent et auxquelles ils puissent
s’identifier. Or, comme l’enfant, dès qu’il a passé le stade
buccal, est un lecteur potentiel, et que ses tendances scatologiques peuvent
représenter un bon filon, allons-y sans scrupules : les ouvrages
pipi-caca-popo abondent.
Il est difficile de ne pas s’interroger sur l’avantage d’une telle littérature.
Quel modèle parental défend-il l’idée qu’il faut infantiliser
les enfants ? Le plus surprenant dans ce genre de livre, ce n’est pas le
fait qu’il trouve un lectorat, mais que quelqu’un ait le désir de
l’écrire : qu’est-ce qui pousse un auteur à publier un texte
aussi niais sinon l’idée que les enfants sont niais ? Il y a, malgré
les dénégations de tous ceux qui participent à ces
publications — très souvent parents de jeunes enfants et donc censés
être à même de savoir quoi leur proposer — une forte
dose de mépris (inconscient, espérons-le) vis-à-vis
de l’enfant qui, sous le prétexte que son développement intellectuel
n’est pas achevé, est considéré comme un gentil benêt.
Revenons aux livres. Aux « romans ». La remarque d’Isabelle
Jan sur le dédoublement de personnages adultes en version enfant
(« un petit détective, un gangster modèle réduit
», cf. article précédent) est particulièrement
vraie dans les romans pour les 11-13 ans, dont il a été décidé,
une fois pour toutes, qu’il fallait que les héros aient environ
13 ans, pour que le lecteur puisse s’y identifier. L’identification : mot-clé
aberrant de la littérature jeunesse. Soit un livre(7) de la collection
« Vertigo » chez Hachette Jeunesse, qui, comme son nom l’indique,
est une collection de livres policiers « à partir de 12 ans
». Quel intérêt pour un jeune lecteur de lire les aventures
de Frédéric et d’Adriana, qui ont son âge, plutôt
que celles d’Hercule Poirot ou du Commissaire Maigret ? Le type de récit
est le même, mais dans le second cas, le lecteur doit fournir un
travail d’imagination plus important pour entrer dans le monde proposé
par l’auteur - car celui-ci lui est moins proche. Or à quoi bon
la littérature si ce n’est pour développer l’imaginaire des
enfants ? Non seulement l’identification n’est pas impossible dans le cas
d’un roman policier classique et d’un héros âgé (l’enfant
peut se projeter dans l’avenir, il n’est pas obligé de croire qu’il
aura 12 ans et demi toute sa vie), mais elle est plus riche et plus intéressante.
Il ne s’agit bien sûr ici pas de renier toute forme de littérature
dont les héros sont des enfants, puisque ceux-ci peuvent être
très loin, par certains traits, du quotidien des enfants lecteurs,
auquel cas il y a bien un travail de l’imaginaire.
Raphaël Meltz |