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LE DICTIONNAIRE VIRTUEL & INFINI DE R DE RÉEL

a b c d e f g h i j k l m n o p q r s t u v wx yz
 
 
 


Les petits B.C.B.G. mangent des B.N., roulent en V.T.T., réussissent leur B.E.P.C., s’habillent en I.K.K.S., parfois en T.B.S., veulent être D.J. dans la Z.U.P. à cause de N.T.M. sur N.R.J., confondent J.F.K. et D.S.K., rêvent d’être agents de la D.G.S.E. pour redistribuer l’argent des V.I.P. espions de la R.P.C. à la S.P.A.
Les grands B.C.B.G. refusent de manger des O.G.M., roulent en B.M.W. avec A.B.S, lecteur de C.D. et R.D.S, réussissent leurs O.P.A., s’habillent en Y.S.L., regardent P.P.D.A. sur T.P.S., votent R.P.R. et n’écrivent P.S. qu’en bas de lettre, rêvent d’être P.D.G. pour revendre la B.N.P. et accroître leur F.B.C.F. en râlant sur l’I.S.F.
Le B.C.B.G. est souvent béat et peu souvent beat, de quelque génération qu’il soit.


Babar fut tour à tour mammouth à l’ère quaternaire, puis olifant jusqu’au XVème siècle, puis éléphant jusqu’en 1931. Depuis 1931, tout éléphant court le risque d’être appelé Babar par les 88 mois-88 ans, du fait de l’existence persistante de la détestable figure rhétorique qu’est l’antonomase synecdoquesque, laquelle transforme insidieusement les réfrigérateurs en frigidaires, la sauce moulinée à la tomate en ketchup, et notre belle langue française en barbarismes.
À la question qui est Babar, les babarologues répondent sans hésiter : Babar est le roi des éléphants.
À la question qui est le père de Babar, les babarologues sont divisés entre Jean et Laurent de Brunhoff — faut-il y voir une blague de l’éditeur? L’auteur, par un curieux trouble de la personnalité, aurait-il choisi de changer de prénom au cours de sa longue vie?(1)
À la question qui est le modèle de Babar, les babarologues répondent en hésitant : on peut tout de suite écarter l’hypothèse d’une quelconque influence de Claude Bébéar, ancien patron d’AXA, pour les raisons que l’on sait. On a en revanche beaucoup parlé d’une possible parenté avec Dumbo, l’éléphant star de l’écurie Disney (le mot écurie est-il approprié? Ne devrait-on pas préférer l’anglicisme pachydermhouse? Nous le saurons lorsque nous passerons devant les tribunaux); reste à savoir lequel des deux a influencé l’autre (ce qui serait déjà réglé si l’on avait pensé à regarder les dates de création).
À la question musique ou littérature, les babarologues se contenteront de rappeler que L’Histoire de Babar a été mise en musique par Francis Poulenc en 1945.
À la question Brunhoff ou Dürrenmatt(2), les babarologues répondent sans hésiter que la Vieille Dame a recueilli le héros alors qu’il était orphelin (drame de la chasse et des familles monoparentales). Sachons pourtant être discrets quant à la nature exacte des relations qui unirent dans ses jeunes années le serviable Babar à sa digne protectrice. Ne soyons pas plus royaliste que la Reine Céleste, laquelle a fait le meilleur accueil à la Vieille Dame — bien qu’occasionnellement, et principalement hors champ, il ait pu y avoir un ou deux coups de trompe perdus.
À la question monarchie ou république, les babarologues se contentent de remarquer que tout roi qu’il est, Babar a une masse pesante, une peau rugueuse, de grandes oreilles plates et un nez allongé : détails propices à une méditation sur la vanité du pouvoir, au même titre que les photographies des pages 24-27 de l’hebdomadaire Voici, où, au vu des grandes oreilles plates de la princesse ***, il est dit que le pouvoir est bien peu de choses, que poussière tu retourneras en poussière, et que l’argent ne fait pas le bonheur quoique.
À la question catéchisme ou lectures païennes, les babarologues se contentent de remarquer qu’en ce siècle de décadence, Baasa, roi d’Israël de -909 à 886, cité dans la Bible, Rois XV, 27 - XVI, 7, n’a que trois lignes sur la page du Petit Robert où Babar, roi des éléphants, en a neuf.
Babar barrit. Astuce mnémotechnique jamais ouïe, de mémoire d’éléphant.

1.  Les derniers albums sont écrits par Laurent de Brunhoff, né en 1925, fils de Jean de Brunhoff (1899-1937),
créateur de Babar en 1931.
2. Auteur (suisse) de  La visite de la vieille dame, 1955.


— 1866 ; de Babel — DIDACT. Caractère d’un discours formé de mots appartenant à des langues diverses. — Jargon incompréhensible.
Genèse, XI.1.9.: «Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots.» En ces temps les hommes vivaient unis sur la terre. Ils construisaient une tour pour se rapprocher des cieux. Dans les cieux vivait Dieu. Dieu fut jaloux : «L’Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Et l’Éternel dit: Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c’est là ce qu’ils ont entrepris ; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu’ils ont projeté. Allons ! descendons, et là confondons leur langage, afin qu’ils n’entendent plus la langue les uns des autres.»
Les hommes se dispersèrent, baragouinant chacun sa langue et se jetant des regards en coin.
L’indo-européen paraissait dès lors chose lointaine. Le nombre des adhérents des Amis de l’espéranto stagnait lamentablement. Traducteur était un métier ingrat mais indispensable.
Quelques esprits retors se réjouissaient pourtant de la jalousie de Dieu. Nabokov écrivait sur une même page(1):
Ma sœur, te souvient-il encore
Du château que baignait la Dore ?
My sister, do you still recall
The Ladore-washed old castle wall ?
Sestra moïa ty pomnich’ gorou
I doub vysokiï, i Ladorou ?
Les enfants apprenaient plusieurs langues étrangères à l’école. Pour construire une tour de Babel il en suffisait d’une seule. Les enfants apprenaient une seule langue étrangère à l’école. Dieu commençait à se méfier de nouveau. Il chargeait ses émissaires de critiquer l’anglais because appauvrissement du langage. Les humains les plus pieux remplaçaient bug par bogue et se confessaient après la lecture de Lucien le Chanceux(2).
Pendant ce temps, des casuistes notaient la solution pour satisfaire l’orgueil humain sans contrevenir à la volonté divine : apprendre toutes les langues. Nabokov n’avait plus besoin de traducteur. Le babélisme se portait bien. La tour était belle. Dieu était coincé.

1. Ada ou l’ardeur, 1969.
2. Lucky Luke.


On me dit un jour que William Shakespeare était le pseudonyme de Francis Bacon. Francis Bacon, baron de Verulam et admirateur de Soutine, avocat sous Jacques Ier et ami de Edward Ashcroft, avait donc écrit Hamlet, non content de peindre des papes à l’air sournois, de disserter sur la philosophie des sciences, de réinventer la couleur orange, d’écrire une Histoire d’Henry VII, de remettre à la mode les triptyques et d’imaginer une Nouvelle Atlantide. Voilà un grand dilettante! m’écriais-je. J’ouvris la partie dictionnaire de R de réel page cinquante-sept où l’on m’expliquait que Francis Bacon (Londres 1561 - 1626) n’était pas Francis Bacon (Dublin 1909-1992). On me dit aussi qu’il y a, en France, au moins quatre personnes dénommées Francis Bacon, l’une habitant le petit village de Saint Denis dans le Gard, l’autre la rue Mathaly à Toulouse, les troisième et quatrième dans le département du Nord, avenue Boufflers à Lambersart et rue Winoc Chocqueel à Tourcoing. Ce sont probablement des dilletantes.


Wannsee, janvier 1942. Des hommes confèrent et dînent. Confèrent de l’extermination d’un peuple et dînent de mets raffinés arrosés de vins fins. Un homme parmi eux est chargé de rédiger le procès verbal de cette conférence. Dix-neuf ans plus tard, cet homme ne se souvient plus : «j’ai oublié... ce n’est pas essentiel... j’ai oublié les détails... les mots étaient très... crus, mais ce ne sont pas ces mots que l’on m’a demandé d’écrire»(1). Cet homme, Adolf Eichmann, se souvient en revanche : «C’était la première fois que j’assistais à une conférence avec d’aussi hauts fonctionnaires... c’était très courtois, très agréable... Après le dîner, je suis resté avec Heydrich et Müller, on a pris un verre de cognac... ou deux... ou trois... C’était très agréable». Hannah Arendt a sous-titré le récit du procès de cet homme «Rapport sur la banalité du mal»(2). Adolf Eichmann participait à la décision d’exterminer tous les juifs d’Europe et prenait plaisir à son cognac.

1. Propos issus du Procès Eichmann, film de 1999, monté à partir des images du procès d’Eichmann, en 1961.
 2. Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem, 1963. Rééd. Folio.


«Ah, tu sais, j’ai rencontré..., tu vois, et il était tout en vert. Veste verte, chemise verte, pantalon vert, chaussures vertes. Il fumait même des Gauloises vertes. Alors je lui dis : “ça va ?” Et il me dit : “Comment ça, "ça va ?" Tu ne vois pas comment je suis ? Je suis en vert et contre tout.”»(1)
La banlieue grise, en vert et contre tout.
Banlieue. Lieue à la ronde où le ban (les lois) du seigneur s’exerçaient.
Lieu banni de la ville. Dans ce lieu il y a des hommes, non des pitbulls de cirque pour journalistes aimant à croire que les cités ne sont plus ni athéniennes, ni merveilleuses, ni d’or, mais forcément à problèmes à risques à explosions.
Ne pas parler de la banlieue. Ne rien en dire. Cesser de croire que « la banlieue » existe. Cesser de parler des tares des « jeunes de banlieues ».  Il n’y a pas d’hommes des banlieues, il n’y a que des lieux qu’on met au ban.
Ne pas parler des hommes qui sont au chômage. Parler des hommes qui n’aiment pas payer des impôts pour ceux qui sont au chômage. Ne pas parler des hommes qui vendent de la coke dans une cage d’escalier pour acheter des Nike. Parler de ceux qui vendent des Nike pour acheter de la coke dans un loft(2).
Ne pas parler des deux jours par an où la banlieue viendrait «casser» les beaux quartiers au grand dam mais à la grande excitation malsaine de tous. Parler des 363 jours par an où les beaux quartiers sont rénovés, et dans ces beaux quartiers ces beaux immeubles où vivent ces beaux architectes qui ont imaginé ces banlieues laides, cités radieuses qui ne sont que honteuses. Parler de la responsabilité d’une société qui, pendant trente ans, a laissé construire des immeubles où personne ne pourrait souhaiter vivre. Ne pas parler des tags, graffitis et sièges déchirés dans les RER. Parler des décrets qui placent entre deux barres d’habitations les décharges, les aéroports, les stations d’épuration, les centrales électriques.
Parler d’une société à deux vitesses et de deux cadres de vie qui auraient des exigences différentes.
Mais la banlieue prend sa revanche et devient centre des modes, des habits et des musiques.
Le rap, en vers et contre tout.

1. Jean Eustache, La Maman et la Putain, 1972.
2. Idée reprise à Ariel Wizman.


Ouvrir grand la bouche, y enfourner cette matière étrange qui se déchire par blocs, refermer prudemment les dents et soudain il n’y que du vide, le gros morceau est devenu un minuscule filament rose et là, sentiment d’avoir été floué. Comme trahi sur la marchandise.
Il ne faut pas mentir aux enfants. Ne jamais leur offrir de barbapapa, cette immense chose rose composée à 5% de sucre et 95% d’oxygène. Sucre gonflé qui se ratatine dans la bouche.


«Le basilic est le roi des serpents. Il est empli de venin à tel point que celui-ci ressort à l’extérieur du corps et brille sur sa peau; même sa vue et l’odeur qu’il exhale sont chargées de venin qui se répand aussi bien loin que près : il en corrompt l’air, et fait crever les arbres ; et le basilic est tel que de son odeur il tue les oiseaux dans leur vol, et que de sa vue il tue les hommes quand il les regarde ; cependant, les Anciens affirment qu’il ne fait aucun mal à qui le voit avant que celui-ci ne l’ait vu. Sa taille est d’un demi-pied, son corps porte des tâches blanches, et il a une crête semblable à celle d’un coq. Lorsqu’il avance, la moitié antérieure de son corps est dressée tout droit, et l’autre moitié est disposée comme chez les autres serpents. Et si féroce que soit le basilic, il est tué par les
belettes, bêtes un peu plus grandes qu’une souris et au ventre blanc. Et sachez qu’Alexandre en rencontra ; il fit faire alors de grandes ampoules de verre, où entraient des hommes qui pouvaient voir les basilics alors que ceux-ci ne les voyaient pas, et qui les tuaient de leurs flèches ; et c’est par une telle ruse qu’il en fut délivré et qu’il en délivra son armée.»

Brunetto Latini, Livre du Trésor, 1263
R de réel, volume B.


Qu'est-ce que la beauté ?
 
Une fleur de prunier m'a répondu en rêve:
 
«Je suis assez belle, je crois
pour que vous me mettiez à flotter
dans votre saké !»
 
Anonyme, extrait du Manyôshû, littéralement «recueil des dix mille feuilles», début du VIIIe siècle.


«La belette est une petite bête plus longue qu’une souris, et qui pourchasse les souris et les couleuvres ; mais quand elle se bat contre la couleuvre, elle retourne souvent près d’un plant de fenouil, et elle en mange par peur du venin, puis elle revient à la bataille.
Et sachez qu’il existe deux sortes de belettes : une qui habite dans les maisons, et une espèce champêtre. Mais l’une et l’autre conçoivent par l’oreille et enfantent par la bouche, selon le témoignage de certaines personnes, mais beaucoup disent que c’est là une erreur.»


«Et la voix, que j’avais entendue du ciel, ma parla de nouveau et dit : Va, prends le petit livre ouvert dans la main de l’ange qui se tient debout sur la mer et sur la terre. Et j’allai vers l’ange, en lui disant de me donner le petit livre. Et il me dit: Prends-le, et avale-le ; il sera amer à tes entrailles, mais dans ta bouche il sera doux comme du miel. Je pris le petit livre de la main de l’ange, et je l’avalai; il fut dans ma bouche doux comme du miel, mais quand je l’eus avalé, mes entrailles furent remplies d’amertume.»


«Il ne doit y avoir ni haut ni bas, ni premier ni dernier » disait Gracchus Babeuf(1), initiateur de la «conjuration des Égaux» pendant la Révolution Française — laquelle conjuration lui coûta la vie, des révolutionnaires plus égaux que lui n’ayant pas apprécié son mot d’ordre égalitariste.
Est de nos jours babouviste quiconque prône «l’égalité parfaite». Le babouviste croit que si tous disposent des mêmes choses, chacun devient l’égal de chacun. Le babouviste ne considère que les choses. Il fait le désespoir du bourdieusien(2), lequel ne voit que les symboles : le bourdieusien croit que si tous disposent des mêmes choses, chaque chose devient l’ego de chacun. Mozart dans toutes les chaumières? Le bourdieusien ricane: Mozart n’est pas le même acheté vingt francs dans une pochette Classique DDD, qu’enregistré par Itzhak Perlman avec le Wiener Philharmoniker, chère amie j’y étais c’était grandiose. Le bourdieusien croit en la capacité qu’ont les hommes de maintenir l’inégalité, le haut et le bas, les premiers et les derniers, par le biais des symboles, puisqu’on leur enlève le biais matériel en vendant Mozart dans les hypermarchés.
Le bourdieusien croit que chacun veut être en haut, à la droite de Dieu. Le bourdieusien est bourdivin.
Le babouviste est naïf, le bourdivin est cynique, les choses ne sont ni babouvistes ni bourdivines — le Mozart DDD pouvant donner plus de plaisir que le Mozart distingué. La vie rétablit l’égalité; les poètes disent cela mieux que quiconque : deux enfants jouent, l’un en haut l’autre en bas sur l’échelle sociale, «et les deux enfants se riaient l’un à l’autre fraternellement, avec des dents d’une égale blancheur.»(3)
Il n’y a ni haut ni bas, ni premier ni dernier.

1. Babeuf (1760-1707) in Lettre à Germain, 10 thermidor an III (28 juillet 1795)
2. Disciple du sociologue Pierre Bourdieu, dont un des ouvrages principaux est La Distinction (1979)
3. Baudelaire (1821-1867), « Le joujou du pauvre », in Le Spleen de Paris (1869)


Qui refuse le métissage des cultures? Qui épouse un aristocrate anglais?
Qui dit qu’il n’y a qu’à travailler à l’école pour réussir? Qui inscrit son enfant cancre dans un cours privé?
Qui trouve que la banlieue fait peur? Qui n’est jamais allé plus loin que le XVIIème arrondissement?
Qui râle contre les 35 heures? Qui est rentier?
Qui trouve que la morale se perd? Qui admire J.F.K.?
Qui réclame l’héritage des richesses?
Qui petit-déjeune au Deux-Magots?
Qui côtoie la bourgeoisie de gauche?
Qui pense en bas?
Qui vit en haut?


Qui prône le métissage des cultures? Qui épouse un bourgeois de gauche?
Qui refuse l’inégalité des chances et la reproduction sociale? Qui obtient une dérogation pour Henri IV?
Qui comprend le mieux la désespérance de la banlieue, les HLM et la déglingue? Qui n’est jamais allé plus loin que le XVIIIème arrondissement?
Qui milite pour le droit au logement? Qui n’a jamais croisé de clochard dans son taxi?
Qui mène le combat des sans-papiers? Qui oublie de déclarer sa femme de ménage?
Qui aime le théâtre de rue et le hip-hop? Qui est invité à la Comédie Française et à l’Opéra Garnier?
Qui réclame le partage des richesses?
Qui petit-déjeune au Flore?
Qui côtoie la bourgeoisie de droite?
Qui pense à gauche?
Qui vit à droite?


J’allume ma télévision : sous le logo de la chaîne d’informations du câble, à côté de l’heure, je peux lire le cours du CAC 40. Quelle heure est-il madame Persil? Dow Jones moins un quart monsieur Placard. J’ouvre mon journal: au moins une page entière consacrée à la bourse, dans tous les quotidiens généralistes — sans exception(1). J’écoute la radio: à 9 heures sur France-Info, vite vite l’ouverture du Palais Brongniart, à 13 heures moins une sur France-Inter, vite vite le record historique quotidien du CAC 40.
La bourse jouit des mêmes droits que la météorologie : bourse et météorologie sont les deux seules rubriques développées plusieurs fois par jour dans l’ensemble des médias. Or si la pluie et le beau temps concernent tout le monde, la bourse ne concerne que les 12% des ménages français détenant un portefeuille d’actions(2). Alors CAC 40 +0,27%, Dow Jones +0,02%, Nikkei -0,31%, FT100 +3,18%, à quoi servent ces étranges informations quotidiennes incompréhensibles et inutiles pour le tout-venant? À convaincre le quidam de la poésie des chiffres? Dans son inutilité, la bourse est comparable à la météo marine. Vent de secteur sud-ouest 5 à 6, fraîchissant temporairement 6 à 7, mollissant 3 à 4, localement 5, curieuses informations quotidiennes en un monde ou la chasse à la baleine n’est pas chose banale.
Les vrais boursicoteurs et les professionnels de la finance, ceux qui gèrent d’importants portefeuilles, n’ont pas besoin des informations distillées dans les médias généralistes : ils se tiennent au courant en continu, sur Internet aujourd’hui, sur leur Minitel hier — de même que les vrais baleiniers ne lâchent pas des yeux le site de Météo France.
Alors pourquoi cette omniprésence médiatique? Sans doute pour habituer les dizaines de millions d’actionnaires potentiels aux sonorités chantantes des variations des cours — en espérant qu’un jour ils se prennent au jeu du gain et découvrent les joies du capitalisme. En espérant qu’ils n’aillent pas se plaindre des gros actionnaires, ceux qui gagnent de l’argent, de l’argent, de l’argent, de l’argent, quitte à fragiliser l’économie d’un pays et à épisodiquement se jeter du haut d’un building.
Après les anticyclones, les dépressions.

1. Même La Marseillaise, quotidien régional d’obédience communiste, qui faisait de la résistance, a fini en 1998 par faire entrer des cours de la bourse au sein de ses pages.
2. Moins qu’à la veille de la Première Guerre mondiale et moins qu’il y a cinq ans.


«Dans les bandes dessinées, les bruits sont rendus par des onomatopées volontiers dénoncées comme un abus par les âmes simples qui n’ont pas compris que leur nombre de plus en plus élevé ne faisait que refléter la croissance incessante du bruit dans le monde actuel. [...]
Sont désormais inusitées, pour ne pas dire proscrites, des onomatopées telles que : Cocorico, Drelin, Boum, Poum, Patatras, Pan, Vlan ou V’lan, Ronron, Toc, Floc, Tac, Flac, Tic-tac, Glou-glou, Miam-miam, etc. [...]
Le vocable Ah! Ah! Ah! symbole du rire, se diversifie désormais en Hi! Hi! Hi! qui traduit l’hilarité niaise, Hu! Hu! Hu! l’hilarité précieuse, Hé! Hé! Hé! le ricanement. Il s’agit d’une indéniable tentative pour introduire la psychologie dans le bruit. En ce qui concerne la douleur, le banal Aïe! a cédé la place à Ouille! Aoub! ou, raffinement, à Aaarh! Atchoum s’est mué en Atchii. L’étonnement ne dispose plus seulement de Oh! mais de Ooh?  Eeeh! et l’étonnement apeuré, Aaaah! La modulation atteint l’explosion elle-même ; muant le désuet Boum en Baoum! ou Blaoum! ou Ba-da-bam-boum, déjà plus classique. Le cri du chien est encore Ouah, mais aussi Wouah et Warf. Un cheval qui hennit ne fait plus Hi-han mais Iiiii! Le téléphone fait Trrring, et la sonnette d’une porte Dong, alors que pour ces deux bruits existait jusqu’ici un unique vocable: Drrring!
La recherche de la différenciation aboutit à la représentation d’un bruit unique par plusieurs onomatopées. La même brique envoyée sur la tête de diverses personnes produit des sons distincts, comme si le dessinateur avait voulu tenir compte des variations morphologiques. Cela donne : Pomf, Pok, Smoc, ce dernier bruit signifie que la brique a atteint la bouche et ressemble donc à la sonorité du baiser : Smac ou Smak. [...] Les borborygmes, reniflements, raclements de gorge, hoquets s’identifient désormais : Mmf, Pfmff, Beueuh, Ahrk, Fss, Hic. Le métal heurté répond par Boing. Paf, Baf et Blaf interprètent le bruit d’une gifle. Piuuuuw est le sifflement produit par un obus avant l’éclatement. Tbang est la résonnance d’un heaume frappé à coup d’épée. Des épées qui s’entrecroisent font: Thling, Thling! [...] La plupart des onomatopées d’apparition récente ont une origine américaine qu’elles ne cherchent pas à nier, renonçant à une hypocrite transposition. [...] Le dérisoire Oin! Oin! symbole des larmes, s’est vu remplacer avantageusement par un évocateur Smiff! Smiff! Shurp est venu évoquer le baiser raté et Smak! le baiser réussi. Flac et Pouf, symbolisant le contact plus ou moins brutal d’un corps avec une nappe liquide, se sont vus substituer un Splash plus réaliste. Ce terme peut aussi bien assumer l’éclaboussement provoqué par le passage d’une voiture que la rencontre d’une tarte à la crème avec un visage. Le mécontentement du lion a cessé de se confondre avec celui du chien — tous deux étaient exprimés par Grrr! Le lion a choisi de faire désormais Rrroaarrr! empruntant ce son au verbe anglais to roar: rugir.»