Q.I. q.c.m. pour les cons |
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de réel Volume Q (janvier-avril 2003) Critique (Articles) |
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1. On crée des formes naines d’animaux
par sélection continue, i.e. tout simplement en croisant des
animaux de petite taille entre eux ; cf. (a) in bibliographie. [Retour
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1. Stephen Jay Gould, La mal mesure de l’homme, Odile Jacob, 1997. [Retour
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2. Cf. l’article Q.I. de l’Encyclopædia universalis: «Quand
les tests ont été élaborés, beaucoup de psychologues imaginaient avoir obtenu
un outil permettant la découverte de différences ou de ressemblances génétiques
entre diverses populations. [...] Peu à peu, il est devenu évident qu’on
ne pouvait pas séparer les facteurs génétiques des facteurs culturels.»
On refuse ce «peu à peu». [Retour
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3. J.Lawler, Intelligence, génétique, racisme. Le Q.I. est-il héréditaire? Éditions sociales, 1978 ; M.Tort, Le Quotient intellectuel, Maspéro, 1977. [Retour
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4. M.Schiff, M.Duyme, A.Dumaret,S.Tomkiewicz, Enfants de travailleurs manuels..., p.u.f., 1981. [Retour
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5. A.Blum, F.Guérin-Pace, Des lettres et des chiffres. Des tests
d’intelligence à l’évaluation du “savoir-lire”, Fayard, 2000. [Retour
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6. Une autre procédure de calcul prend en compte la performance de l’individu par rapport à la moyenne des gens du même âge. [Retour
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7. H.H.Goddard, Human efficiency and levels of intelligence, 1920. [Retour
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8. Yerkes, Psychological Examining in the United States, 1921. [Retour
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9. V.A. Mac Kuseck, Human genetics, 1964. [Retour
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10. Richard Herrnstein & Charles Murray, in The New Republic, 31 octobre 1994. [Retour
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11. Philippe Gavi, Le Nouvel Obsevateur, n°1951, semaine du 28 mars
2002. [Retour
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12. Tests et courrier des lecteurs du site www.3f68.reussir.com [Retour
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13. Interview disponible sur www.halter-et-go.com [Retour
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14. Exemple cité in Blum & Guérin-Pace, op. cit. [Retour
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15. Marcel Aymé, Les Contes du chat perché, 1939. [Retour
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Il existe une thèse « en vertu de laquelle on pourrait prétendument classer hiérarchiquement les êtres humains sur une échelle qualitative ». Une thèse qui affirme qu’il est possible de « caractériser abstraitement l’intelligence de chaque individu par un seul chiffre ; il s’ensuit que l’on pourrait ranger, en une gradation linéaire, tous les hommes en fonction de leur valeur mentale, laquelle serait, pour chacun d’entre eux, intrinsèque et interchangeable. »[1] On est incapable d’écrire un article argumenté sur le Q.I. (1° les fils d’ouvriers sont plus cons que les fils de cadres, 2° les fils d’ouvriers ne sont pas plus cons, etc.)[2]. On ne tergiverse pas sur une question qui est affaire de choix moral et non d’études sociologiques et statistiques. Il y a des chercheurs qui forgent des explications rationnelles aux disparités entre Q.I.[3] et qui publient des études du genre : Enfants de travailleurs manuels adoptés par des cadres. Effets sur les tests de Q.I.[4], dans le but (louable ?) de montrer que tout ça est affaire d’éducation. Cela nous navrerait d’avoir à faire un travail pareil : convaincre les imbéciles, avec leurs propres outils (les chiffres) que : non, les gens ne naissent pas cons. De deux choses l’une. Soit on croit que l’on peut définir quelqu’un par un chiffre, soit on croit qu’un être humain est trop complexe et doté de capacités trop subtiles pour être mesurées. Il n’y a pas d’entre deux. Il y a ceux qui croient que les notes qu’on a en maths à l’école mesurent l’intelligence (et qui se désolent d’avoir un enfant con au lieu de se féliciter de ses mille autres capacités, sans doute bien plus rares et utiles que de savoir calculer 1/4 + 3/4), et ceux qui croient que les notes qu’on a en maths à l’école mesurent juste la compréhension d’un type de raisonnement, l’insertion à l’école, et le savoir-faire d’une poignée de professeurs. On se bornera donc dans cet article à quelques constatations. La thèse selon laquelle “l’Intelligence” est innée, donnée, et quantifiable, est une idée présente chez beaucoup de gens. Une seconde thèse (plus polémique) peut ou non en découler : l’idée selon laquelle cette même Intelligence serait héréditaire. Si la première thèse est bête, la seconde est dangereuse. « Depuis les études sur les relations entre la forme du crâne et l’intelligence, jusqu’aux tests d’intelligence ou d’aptitudes en tout genre pratiquées à grande échelle, en passant par l’eugénisme, elle a donné lieu à de nombreuses dérives. À un siècle d’intervalle on retrouve la même obsession de vouloir classer les hommes le long d’une échelle universelle de compétence. »[5] Petit rappel chronologique. 1869 Sir Francis Galton, biologiste anglais, publie L’intelligence héréditaire — dont le but est de prouver que l’intelligence est héréditaire, comme l’indique le titre. En 1883, il invente l’eugénisme, science de la sélection biologique de l’espèce humaine, qu’il définit comme « l’étude des éléments contrôlables socialement qui peuvent améliorer ou détériorer les qualités raciales des futures générations physiquement ou mentalement ». 1905 Alfred Binet s’intéresse à la question du retard mental chez les enfants : il met au point une « échelle métrique de l’intelligence » qui compare le “niveau intellectuel” et l’âge réel de l’enfant.. 1912 Le psychologue allemand Stern définit “l’âge mental” d’un individu comme l’âge auquel on observe en moyenne un niveau de performances égal au sien. Le rapport entre “l’âge mental” et “l’âge réel” donne le “quotient mental”. En 1916, psychologue américain Lewis Terman multiplie par 100 ce rapport et l’appelle Quotient Intellectuel. La valeur 100 signifie donc qu’on a un niveau équivalent au groupe de son âge.[6] 1920 Henry Herbert Goddard, psychologue américain, réinterprète les tests de Binet. Il tente de démontrer que l’intelligence est innée et que la débilité est l’expression d’un gène unique. Citation : « Par exemple, voilà un homme qui dit : “Je porte des chaussures à 12$ et voici un manœuvre qui porte des chaussures à 3$ ; pourquoi me permettre de dépenser 12$ alors que lui ne peut en dépenser que 3 ? Je vis dans une maison qui est décorée de façon artistique, avec des tapis, des meubles coûteux, des tableaux de valeur et d’autres objets de luxe ; voilà un manœuvre qui vit dans un taudis, sans tapis, sans tableaux et avec les meubles les plus grossiers. Ce n’est pas équitable, ce n’est pas juste.” En réalité, il se peut que cet ouvrier ait une intelligence correspondant à un âge mental de 10 ans, alors que la vôtre correspond à un âge mental de 20 ans. »[7] 1921 Yerkes fait des tests auprès des conscrits américains. Il aboutit à la conclusion suivante : l’âge mental moyen des Américains est de 13 ans. Yerkes y voit trois explications majeures : « la rapide croissance de la population noire, l’augmentation des flux d’immigrés en provenance d’Europe centrale et d’Europe du Sud et, enfin, la libre reproduction des pauvres et des faibles d’esprit »[8]. 1964 Un généticien américain : « Nul ne constesterait qu’il soit souhaitable et scientifiquement sain d’encourager la reproduction de personnes intelligentes qui constituent un capital bénéfique à la société. C’est ainsi, par exemple, qu’il serait tout à fait raisonnable de diminuer les impôts des professeurs d’université d’après le nombre de leurs enfants. »[9] 1994 Richard Herrnstein et Charles Murray publient The Bell Curve, ouvrage tendant à démontrer que les pauvres sont pauvres parce que cons. « Chez les spécialistes, le stade des batailles entre experts est maintenant dépassé sur le point de savoir s’il existe réellement un facteur général sous-tendant les aptitudes cognitives, de grandeur variables selon les individus. Il existe également un consensus pour reconnaître que ce facteur générable est mesuré raisonnablement bien par divers test standardisés, les meilleurs de tous étant les tests de Q.I., qui ont été mis au point spécialement dans ce but. »[10] Forts de cette théorie, Herrnstein et Murray affirment que les habitants pauvres et dangereux, à faible Q.I., doivent être “pris en charge” : « En bref, par prise en charge, nous pensons à des sortes de réserves d’Indiens, aménagées avec d’avantage de “high-tech” et de moyens, destinée à une partie importante de la population, tandis que le reste de l’Amérique continuerait de s’occuper de ses affaires à l’ordinaire. » Séduit par cette thèse, Newt Gringinch, le président républicain de la Chambre des députés, prône la baisse des dépenses sociales — à quoi bon donner aux pauvres, s’ils sont moins intelligents par nature ? § Un panel de 280 personnes découpé en sept groupes : infirmiers, culturistes, chefs d’entreprise, étudiants, chauves, boulangers. Le 28 mars 2002, en prime-time, la chaîne de télévision m6 proposait l’émission : Q.I., le grand test. Pas d’argent à gagner — sauf pour m6 qui, en plus de la publicité et de l’Audimat, encaisse les recettes dérivées de l’interactivité (tests de Q.I. téléphoniques, sur le web, en version magazine). Quelques psychologues servent d’alibi scientifique. « Les Français sont rassurés d’emblée : il y a toutes sortes de formes d’intelligence, de celle du sportif à celle du joueur d’échecs, et un faible Q.I. n’est pas forcément signe de débilité. Preuve que tout est possible, l’association Mensa, qui regroupe les Q.I. du pays supérieurs à 132, rappelle qu’elle compte parmi ses phénomènes aussi bien la championne du monde de char à voile et un jardinier de la Ville de Paris qu’un chercheur polyglotte espérantiste et le webmestre de l’Assemblée nationale. Il n’empêche, reconnaît la psychologue Anne Bacus, que le Q.I. moyen des classes favorisées est plus élevé que celui des analphabètes. [...] Par ailleurs, le patron des programmes de m6, saisi d’une surprenante pudeur, a décidé que la chaîne ne divulguerait que des scores collectifs, pas ceux des individus. »[11] Le succès de l’émission n’a fait que confirmer l’attrait des tests de Q.I. : ces tests, payants, pullulent sur le net. L’un d’entre eux, choisi au hasard[12], arbore, en page d’accueil, cette phrase : Einstein. Q.I. = 160. Et vous ? D’emblée, ces tests prennent les gens pour des cons. La notice spécifie : Répondez à toutes les questions et, si vous ne savez pas, répondez au hasard. La faculté d’intuition est prise en compte dans l’évaluation générale. Et pour faire passer la pilule du prix, une astucieuse mise en scène : un courrier des lecteurs sur la thématique « je ne regrette rien » : « Je viens de faire le test et pour mon âge, je pense m’être joliment tiré d’affaire. J’ai choisi le paiement par téléphone... rapide. Ça marche bien. » / « Chapô, j’ai fait le test en rentrant du cinéma où j’avais vu un film dirons-nous... lourdingue. Entre les 9 euros que m’a coûté ma place de cinéma à Montparnasse et les 3 euros pour votre test, franchement : “y a pas photo” comme dirait l’autre. » L’attrait des tests est clair. Le courrier des lecteurs en témoigne : « Merci pour vos félicitations ce n’est pas le premier test que je fais, mon Q.I. est toujours près de 115. Sachant qu’il y a 22 ans que j’ai fini mes études et que depuis, je me consacre à mes enfants, je suis très contente de ce résultat. », « Franchement, je suis épatée, en fait, j’ai le test, pour un adulte mon Q.I. est de 134, ce qui je trouve est déjà pas mal, mais comme je n’ai que 15 ans, il est en fait de 140 ! Je suis épatée et je vous remercie car ce nombre me donne envie de travailler !!! » Certains vont plus loin : « Pourriez-vous nous donner des stats par région ? Il paraît que les Bordelais sont les plus intelligents héhé. Sérieusement, ça pourrait être intéressant de se comparer par région... » D’autres théorisent : « Avec un Q.I. de 132, je constate que quelque soit le test effectué, les résultats sont toujours plus ou moins équivalents... entre 130 et 135... Ayant fait ces tests avec du temps d’intervalle, j’en déduit que le Q.I. ne change pas avec le temps. » Seuls éléments louables : les cas où la personne gagne de la confiance en soi : « Merci de m’avoir par ce test, redonné une motivation qui fut enfouie dans le plus profond de mon cerveau. Le résultat de 120 m’a beaucoup étonné, et en tout cas maintenant, je suis prêt à reprendre les études plus sérieusement. », « je vous dit un grand bravo pour avoir pensé à faire ce programme, cela m’a permis de voir que quelqu’un qui a arrêté l’école en 5e n’est pas plus bête qu’un autre, cela m’a permis de voir mes capacités intellectuelles, mon ami qui me disait que j’étais bête... » — mais combien ont obtenu un score médiocre, et se croient définitivement sots ? C’est ce que le courrier des lecteurs ne dit bien sûr pas. Un des participants de l’émission de m6 sait cependant expliquer son faible score : « Gérant de société et bodybuilder de haut niveau moi-même, j’ai toujours entendu autour de moi ces petites blagues “du muscle, pas de cerveau” ou bien “deux gros cerveaux (biceps) et une petite b...”, bref , comme les blondes, on prend pas ça au sérieux. [...] Sur place, les 40 culturistes se sont toute suite regroupé, l’esprit corporatiste et puis ce soir là, on allait enfin savoir la vérité sur ces types qui vouent un véritable culte à leur corps (au détriment, pense-t-on, de leur cerveau)... c’était sans compter sur un phénomène statistique simple : il y a des bons et des mauvais partout... c’est comme les chasseurs. [...] En France, il y a un véritable tabou sur la réussite professionnelle, l’argent et l’intelligence. Je suis comme tout le monde, je resterai discret sur mon résultat personnel, tout ce que je peux dire, c’est que je ne suis pas trop surpris, mais qu’il est très difficile de se concentrer au milieu d’un groupe de 39 autres “gamins indisciplinés”, tricheurs et qui ont faim... l’émission était très longue et on attendait tous le buffet avec impatience... »[13] § Test de Q.I. Épreuve de calcul de “niveau 3” : « combien y a-t-il de calories supplémentaires dans un double-cheesburger par rapport à un spécial-cheesburger ? ».[14] [on dispose d’un tableau avec le poids et les calories de sandwiches type hamburger.] « Répondre correctement à la question de niveau 3 requiert de repérer la colonne “calories” et les deux lignes correspondant à “double-cheesburger” et “spécial-cheesburger”, puis d’effectuer une soustraction des deux cases correspondantes, soit 510-370. Un calcul relativement simple, donc, et pourtant en France près de la moitié des personnes interrogées ont mal répondu. Beaucoup ont tout simplement refusé de répondre à cette question en expliquant qu’elles ne mettaient jamais les pieds dans un McDonald et donc que la question ne les concernait pas. »[5]... semblables en cela à Delphine et Marinette[15] résolvant le problème donné par la maîtresse avec l’aide des animaux de la ferme :
Les bois de la commune ont une étendue de seize hectares. Sachant qu’un are est planté de trois chênes, de deux hêtres et d’un bouleau, combien les bois de la commune contiennent-ils d’arbres de chaque espèce ? [...] — Eh bien, je ne vois pas ce qui vous arrête. Tout ça me paraît très simple, dit la petite poule blanche.. [...] Les bois de la commune sont tout près d’ici. Le seul moyen de savoir combien il y a de chênes, de hêtres et de bouleaux, c’est d’aller les compter. À nous tous, je suis sûre qu’il ne nous faudra pas plus d’une heure pour en venir à bout. — Ça, par exemple ! s’écria le chien. — Ça, par exemple ! s’écria le cheval.
Bref : ayez le plaisir d’être cons face à ceux qui veulent vous faire croire que vous l’êtes.
R de réel
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