TOUT LE MONDE EN PARLE
Le peuple est-il bête ?

 
[ De la question de savoir si le peuple est «  un troupeau imbécile », tout le monde en parle. De nombreux auteurs, plus ou moins connus, plus ou moins spécialistes, plus ou moins morts, débattent. ]

 

Maupassant — Le peuple est un troupeau imbécile, tantôt stupidement patient, et tantôt férocement révolté. On lui dit : «Amuse-toi » Il s’amuse. On lui dit : «Va te battre avec le voisin.» Il va se battre. On lui dit: «Vote pour l’Empereur.» Il vote pour l’Empereur. Puis, on lui dit : «Vote pour la République.» Et il vote pour la République.

Platon — «Ô bienheureux ami, n’accuse point trop la multitude. Elle changera d’opinion si, au lieu de lui chercher querelle, tu la conseilles.»

Pierre Bourdieu — Nous souhaitons, dans le cadre de groupes comme «Raisons d’Agir», inventer des formes d’expression nouvelles, qui permettent de communiquer aux militants les acquis les plus avancés de la recherche.

Diderot — Ce n’est pas assez de révéler ; il faut encore que la révélation soit entière et claire. Il est une sorte d’obscurité que l’on pourrait définir l’affectation des grands maîtres.

Lao Tseu — Les anciens qui pratiquaient le Tao ne cherchaient pas à éclairer le peuple. Ils s’attachaient à le laisser dans l’ignorance. Si le peuple est difficile à gouverner, cela vient de l’excès de son intelligence.

Victor Hugo — Je l’ai dit quelque part, et c’est ma pensée : le jour où le peuple sera intelligent, alors seulement il sera souverain.

Rousseau — Il n’a jamais existé de véritable Démocratie, et il n’en existera jamais. Il est contre l’ordre naturel que le grand nombre gouverne et que le petit soit gouverné.

Elisabeth Guigou — Lorsqu’on a une voiture, on ne regarde pas sous le capot pour voir comment elle fonctionne. La démocratie, c’est la même chose: même si les règles sont compliquées, et que les gens ne les comprennent pas, ce qui importe, c’est que cela fonctionne.

Voltaire — Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas qu’il soit instruit.

George Sand — Souvenez-vous que les gens comme il faut ne voulaient pas que le peuple apprît à lire, et pour cause.

Stendhal — «Comme si le peuple était fait pour lire! Comme si le peuple pouvait distinguer le bon du mauvais!»

Luxun — Si ce sont des gens instruits qui tiennent ce propos, ils ne font qu’user d’une belle phrase pour garder le monopole de l’écriture et s’en conserver à soi-même le privilège.

Victor Hugo — Patience donc. Que le peuple travaille, nous travaillons tous.

Fustel de Coulanges — Voyez à quoi se passe la vie d’un Athénien. Un jour il est appelé à l’assemblée de son dème et il a à délibérer sur les intérêts religieux ou politiques de cette petite association. Un autre jour il est convoqué à l’assemblée de sa tribu: il s’agit de régler une fête religieuse, ou d’examiner des dépenses, ou de faire des décrets, ou de nommer des chefs et des juges. Trois fois par mois régulièrement il faut qu’il assiste à l’assemblée générale du peuple; il n’a pas le droit d’y manquer.

Durand de Maillane — Aujourd’hui, pour être de bons citoyens, il faut moins de science que de vertu ; il faut moins parler, moins écrire et mieux agir.

Tocqueville
— Il est impossible, quoi qu’on fasse, d’élever les lumières du peuple au-dessus d’un certain niveau.

Eugène Labiche — «Retenez bien ceci: plus un peuple a de lumières, plus il est éclairé!»

George Sand — Mais le peuple n’a point confiance en ses propres éléments, il vient de le prouver dans les élections de toute la France, il croit trouver des lumières au-dessus de lui, il aime les grands noms, les célébrités quelles qu’elles soient. Le nom propre est l’ennemi du principe, et pourtant il n’y a que le nom propre qui émeuve le peuple. Il cherche qui le représentera, lui, l’éternel représenté.

Nietzsche — Les peuples ne sont tellement trompés que parce qu’ils cherchent toujours un trompeur, c’est-à-dire un vin excitant pour leurs sens. Pourvu qu’ils puissent avoir ce vin-là, ils se contenteront de pain médiocre. L’ivresse leur importe plus que la nourriture — voilà l’amorce où ils se laisseront toujours prendre! Que sont pour eux des hommes choisis dans leurs rangs — fussent-ils les spécialistes les plus compétents — à côté de conquérants brillants, de vieilles et somptueuses demeures princières ?

Pierre Charron — Ni plus ni moins que la mer, bonasse de nature, ronfle, écume, et fait rage, agitée de la fureur des vents ; ainsi le peuple s’enfle, se hausse, et se rend indomptable: ôtez-lui les chefs, le voilà abattu, effarouché, et demeure tout planté d’effroi.

Machiavel — En effet, ce peuple est comme une bête féroce dont le naturel sauvage s’est amolli dans la prison et façonné à l’esclavage. Qu’on la laisse libre dans les champs ; incapable de se procurer sa nourriture et de trouver des repaires pour lui donner asile, elle devient la proie du premier qui cherche à lui donner des fers. C’est ce qui arrive à un peuple accoutumé à se laisser gouverner.

Montesquieu — Le grand avantage des représentants, c’est qu’ils sont capables de discuter les affaires. Le peuple n’y est point du tout propre.

Charles Dickens — Ma confiance dans le peuple gouvernant est infinitésimale; ma confiance dans le peuple gouverné est infinie.

Flaubert — Cela ne changera pas, tant que le suffrage universel sera ce qu’il est. Tout homme (selon moi), si infime qu’il soit, a droit à une voix, la sienne. Mais n’est pas l’égal de son voisin, lequel peut le valoir cent fois. Dans une entreprise industrielle (société anonyme), chaque actionnaire vote en raison de son apport. Il en devrait être ainsi dans le gouvernement d’une nation. Je vaux bien 20 électeurs de Croisset! L’argent, l’esprit, et la race même doivent être comptés, bref, toutes les forces. Or, jusqu’à présent je n’en vois qu’une : le nombre!

Guizot — La justice et la sagesse ne se rencontrent pas toujours dans les volontés de la majorité numérique.

Tocqueville — Pour moi, je dois le dire, ce que j’ai vu en Amérique ne m’autorise point à penser qu’il en soit ainsi. À mon arrivée aux États-Unis, je fus frappé de surprise en découvrant à quel point le mérite était commun parmi les gouvernés, et combien il l’était peu chez les gouvernants. C’est un fait constant que, de nos jours, aux États-Unis, les hommes les plus remarquables sont rarement appelés aux fonctions publiques.

Saint-Just — Après la Bastille vaincue, le peuple exerça une espèce de despotisme à son tour...

Gérard de Nerval — «Le peuple! voulez-vous dire une douzaine d’avocats et de marchands enrichis qui s’en vont pérorant à tous les carrefours, déclamant dans tous les cafés, parlant beaucoup de liberté, d’égalité de droits et d’impôts, pour flatter les passions de la multitude, les exploiter à leur profit et usurper nos privilèges?»

Saint-Just — ...on vit alors que le peuple n’agissait pour l’élévation de personne, mais pour l’abaissement de tous.

Machiavel — Je soutiens que ces défauts ne sont pas plus naturels aux peuples qu’aux princes. Les en accuser également est vérité ; en excepter les princes, c’est erreur ; car un peuple qui commande et qui est réglé par des lois est prudent, constant, reconnaissant autant et même, à mon avis, plus qu’un prince même réputé sage.

La Bruyère — Qui dit peuple dit plus d’une chose: c’est une vaste expression, et l’on s’étonnerait de voir ce qu’elle embrasse, et jusques où elle s’étend. Il y a le peuple qui est opposé aux grands: c’est la populace et la multitude; il y a le peuple qui est opposé aux sages, aux habiles et aux vertueux: ce sont les grands comme les petits.

 

Avec, par ordre d’entrée en scène : Maupassant, Le Horla, 1887 ; Platon, La République, 499e ; Pierre Bourdieu, Contre-feux, Liber, 1998 ; Diderot, De l’interprétation de la nature, §XL, 1754 ; Lao Tseu, Tao Te King, Le livre de la voie et de la vertu, VIe-Ve s. av. J-C. ; Victor Hugo, Lettre du 3 octobre 1837 à «un jeune ouvrier poëte» ; Rousseau, Du contrat social, livre III, chap. IV, 1762 ; Elisabeth Guigou sur France Inter le 16 décembre 2000 ; Voltaire, Lettre à Damilaville, 1766 ; George Sand, Le Compagnon du Tour de France, t. 2, ch. 19, 1840 ; Stendhal, Armance ou quelques scènes d’un salon de Paris en 1827, ch. XXX, 1827 ; Luxun, Sur la langue et la littérature chinoise, 1934 ; Victor Hugo, ibidem ; Fustel de Coulanges, La cité antique, livre IV, ch. XI, 1864 ; Durand de Maillane, «Opinion sur les écoles primaires», discours du 12 décembre 1792 ; Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1er vol., 2e partie, ch. V, 1835 ; Eugène Labiche, Vingt-neuf degrés à l’ombre, scène 1, 1873 ; George Sand, Lettre à Guiseppe Mazzini, 1848 ; Nietzsche, Aurore, livre III, §188; Pierre Charron, De la sagesse, livre I, ch. 48, 1601 ; Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, livre I, ch. XVI, 1520 ; Montesquieu, L’Esprit des lois, livre XI, ch. VI, 1748 ; Charles Dickens, ? ; Tocqueville, ibidem ; Flaubert, Lettre du 18 octobre 1871 à George Sand ; Guizot, Trois générations, 1789, 1814, 1848, 1863 ; Saint-Just, Esprit de la Révolution et de la Constitution de France, 1ère partie, ch. III, 1791 ; Gérard de Nerval, Le marquis de Fayolle, 1849 ; Machiavel, op.cit., livre I, ch. LVIII ; La Bruyère, Les Caractères, IX, 53, 1687.
Les citations sont toutes exactes ; de très rares passages ont été coupés, sans l’indication [...] mais sans altération de sens. Les guillemets indiquent que c’est un personnage de l’auteur indiqué qui parle. Remerciements à Gallica, Frantext, A.Bordonaba, R.Bozier, R.Béhar, et à Imre Toth, inventeur de ce principe dans Palimpsestes, P.U.F., 2000.

R de réel, volume H (mars-avril 2001).
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