À la fin du XIXe siècle, les colonisateurs italiens
s’en vont à la conquête de l’Abyssinie(1). Ils contrôlent
bientôt un petit territoire éthiopien qui borde la région
stratégique(2) de la mer Rouge (Mare erythreum en latin(3)) : les Italiens
le nomment Érythrée, littéralement « la rouge
». En 1889, l’Italie officialise ses droits sur l’Érythrée
par le traité d’Ucciali, signé avec l’Éthiopie — tout
en espérant tirer profit d’une clause ambiguë du texte afin
d’étendre son protectorat à l’Éthiopie entière.
L’histoire en décide autrement : le 1er mars 1896, le souverain
éthiopien Ménélik II fait subir aux forces italiennes
l’humiliante défaite d’Adoua. L’Éthiopie accède ainsi
au statut d’État souverain — elle ne sera jamais colonisée.
Quant à l’Italie, elle se voit contrainte de limiter ses ambitions
à l’Érythrée.
En 1889, l’Érythrée n’est donc qu’un territoire
aux frontières arbitraires. Moins d’un siècle plus tard,
les anciennes colonies de l’Europe recouvrent leur indépendance.
L’union (la « réunification », pensent certains) de
l’Érythrée à l’Éthiopie semble alors aller
de soi. Mais lorsqu’en 1962 l’Ethiopie affirme officiellement que l’Érythrée
n’est qu’une de ses provinces, cette dernière entre en guerre pour
son indépendance. C’est là toute l’ambiguïté
du conflit érythréen, lequel constitue un cas unique dans
l’histoire : la revendication du retour à une ancienne frontière
coloniale.
§
Une histoire géographique
Parler de l’histoire de l’Érythrée avant la fin de
XIXe siècle est un anachronisme — puisqu’alors, l’Érythrée
n’existait pas. Il faut avoir à l’esprit que pendant près
de deux mille ans, l’histoire de l’Éthiopie et celle de l’Érythrée
se confondent. De même que l’on ne peut pas parler de l’histoire
du « peuple érythréen », car la population érythréenne
n’est en aucun cas une « minorité » pourvue d’une identité
spécifique. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, rien ne
sépare l’Éthiopie de l’Érythrée : ni la géographie
(puisque les hauts plateaux de l’actuelle Érythrée sont un
prolongement des hauts plateaux éthiopiens), ni le peuplement, ni
l’histoire.
Au début de l’ère chrétienne(4) se développe,
sur les hauts plateaux du Tigré (plus de 2 000 mètres d’altitude,
cf. carte), autour de la ville d’Aksoum, un royaume sans doute fondé
par des émigrants venus du Yémen(5). Ce royaume entretient
des relations commerciales avec Alexandrie et le monde grec. La religion
est un mélange de cultes hellénistiques et orientaux ; la
langue est le guèze(6). Fait historique déterminant pour toute
l’histoire ultérieure de la région : le royaume d’Aksoum
devient chrétien au IVe siècle(7). Il étend son influence
jusqu’aux côtes de la mer Rouge. Or, du fait de l’expansion de l’islam,
au VIIe siècle, les Aksoumites sont contraints de s’enfoncer à
l’intérieur des terres, sur les hauts plateaux dont ils sont originaires
: les chrétiens perdent pour une longue période le contrôle
de leur débouché sur la mer. L’histoire de la région
est une succession d’aléas établissant la prédominance
de l’une des deux religions.
À la fin du XIXe siècle, ce sont les chrétiens
qui dominent. À la mort de l’empereur Johannès IV, en 1889,
Ménélik II bâtit l’Éthiopie moderne : à
partir de la région de Choa (région peuplée d’Amharas,
cf. infra, où il installe sa capitale, Addis-Abeba), il annexe le
Harar, l’Ogaden et des provinces de l’Ouest (Sidamo, Kaffa)(8). Les conquêtes
du négus chrétien Ménélik II, qui dessinent
les frontières actuelles de l’Éthiopie, intègrent
ainsi plusieurs populations musulmanes au royaume abyssin : au Sud les
Oromos (ou Gallas), à l’Est les nomades Somalis des plaines de l’Ogaden,
etc. L’Éthiopie est donc actuellement un royaume peu homogène
(« 70 langues, 200 dialectes, une quarantaine d’ethnies »(9)),
mais structuré autour de cette opposition géographique entre
les hauts plateaux peuplés de chrétiens, détenteurs
du pouvoir central, et les grandes plaines périphériques
peuplées de musulmans. L’Érythrée reproduit à
sa petite échelle cette opposition entre musulmans du littoral (45%
de la population) et chrétiens.
Cependant, l’opposition religieuse n’est pas suffisante pour
comprendre les origines de la guerre : la communauté chrétienne
est elle-même divisée. Les descendants des chrétiens
Aksoumites se partagent en effet en deux peuples, les Amharas et les Tigréens,
parlant des langues proches, respectivement l’amharique et le tigrinya(10).
La frontière du territoire conquis par les Italiens en 1889 coupe
le Tigré en deux. Dès lors, la situation est la suivante : si les chrétiens éthiopiens se divisent toujours en deux
(au centre du pays, les Amharas, au Nord, les Tigréens), les chrétiens
érythréens, eux (étant tous « d’anciens »
Tigréens), parlent tous le tigrinya. Or ce sont les Amharas qui
dominent, de nos jours comme à la fin du XIXe siècle, la
politique éthiopienne : ce qui explique qu’une partie de la noblesse
tigréenne ait pactisé avec les colonisateurs italiens — et
ce qui explique bien des ressentiments actuels.
§
Le développement socio-économique
On a pu dire de l’Érythrée qu’elle était une
création de l’Italie : « d’un ensemble disparate, le colonisateur
italien a fait un territoire et un peuple »(b). De fait, les frontières
de l’Érythrée ont progressivement acquis des significations
concrètes. Le projet des Italiens était de faire de ce territoire
une colonie de peuplement et une base de départ pour d’éventuelles
nouvelles tentatives de conquête(11) de l’Éthiopie. Pour cette
raison, ils ont doté l’Érythrée d’une infrastructure
économique moderne : création d’un réseau routier
et ferré, développement du port de Massoua. Entre Asmara
et Assoua, afin de triompher des hauteurs vertigineuses, les Italiens ont
construit le plus long funiculaire du monde(12). Le nombre des colons atteint
72 500 en 1939, dont 40 000 à Asmara, qui prend une allure de ville
latine aisée. Jean-Claude Guillebaud évoque la ville de Keren
en ces termes : « Du grand projet italien, des traces demeurent un
peu partout dans le centre ville : gare délabrée du chemin
de fer, villas de style rococo, avec vérandas à colonnades,
clochetons, chiens-assis et tonnelles ensevelies sous les hibiscus ou les
bougainvillées, maisons peintes et rues à arcades, avenues
démesurées sous les frondaisons, irrigation des orangeraies
d’Elaberet »(a).
Au cours du siècle, « l’avance réelle, dans
le domaine de l’éducation et de l’alphabétisation » (13),
de l’Érythrée, devient la base d’un fort sentiment de supériorité
envers l’Éthiopie. Ainsi lorsque les Italiens envahissent l’Éthiopie
en 1935, des Érythréens coopèrent (« collaborent
» ?). Toutefois, après la Seconde guerre mondiale, l’Érythrée
est sensible à l’appel de la décolonisation. De sorte que
l’élite autochtone érythréenne se trouve dans une
position ambiguë, ou du moins inédite : elle conteste la domination
italienne, sans toutefois se reconnaître dans le régime éthiopien.
Certains parlent de « cas exemplaire, mais tragique, de formation
d’un peuple »(b) et y voient la cause de la revendication de l’indépendance.
Mais les choses sont-elles si simples ?
§
Le rattachement de l’Érythrée à l’Éthiopie
En 1947, l’Italie renonce à tous ses droits sur ses possessions
territoriales africaines. L’Érythrée se trouve alors au centre
des contradictions entre grandes puissances : la Grande-Bretagne désire
un partage de l’Érythrée entre le Soudan et l’Éthiopie
; les États-Unis sont favorables à toute solution avantageant
l’Éthiopie ; la France, désireuse de préserver ses
intérêts à Djibouti et donc d’éviter une contagion
nationaliste, se prononce en faveur d’une tutelle italienne ; l’URSS prône
l’indépendance immédiate. Les grandes puissances échouant
à se mettre d’accord, le dossier est transmis à l’ONU en
1948. La commission politique de l’Assemblée adopte les grandes
lignes d’un plan de partage entre l’Éthiopie et le Soudan, mais
cette solution est rejetée par l’Assemblée. Est alors créée
une Commission des Nations Unies pour l’Érythrée. Après
bien des tergiversations, l’Assemblée Générale des
Nations Unies adopte, en décembre 1950, la résolution 390
rattachant l’Érythrée à l’Éthiopie dans une
union fédérale.
Cette décision accorde au peuple érythréen
un statut particulier de « peuple reconnu titulaire de droits mais
non sujet du droit » : tout en refusant au peuple érythréen
son indépendance, l’ONU a donc confirmé son existence internationale
— ce qui est surprenant car, on l’a vu, la notion de peuple n’est pas la
plus appropriée pour les Érythréens. La résolution
390 ne se prononce pas pour l’annexion pure et simple de l’Érythrée,
mais pour « son étroite association politique et économique
avec l’Éthiopie ». Elle désire que « cette association
assure aux habitants de l’Érythrée le respect et la sauvegarde
de leurs institutions, de leurs traditions, de leurs religions ou de leurs
langues ». Elle parle de constitution érythréenne,
d’assemblée érythréenne, d’administration érythréenne.
Mais l’absence d’une Cour fédérale pour veiller au respect
du texte est une lacune de poids qui va très vite permettre aux
Éthiopiens de dénaturer le fonctionnement des institutions.
La politique globale de subordination de l’Érythrée se traduit
successivement par l’extension du droit pénal éthiopien au
territoire érythréen, par la suppression du drapeau et des
emblèmes érythréens (1952), enfin par l’imposition
de la langue amharique (aux dépens du tigrinya) dans la vie publique
puis dans l’enseignement. Les organisations politiques érythréennes
se réunissent en Congrès en octobre 1953, à Asmara,
pour protester contre les violations du statut d’autonomie. Le Parlement
érythréen s’adresse à l’ONU en 1954 et en 1956 ; en
vain. En 1962, l’Érythrée devient officiellement la quatorzième
province éthiopienne. Pour l’Éthiopie, la victoire est de
taille : en récupérant l’Érythrée, elle retrouve
ses deux accès à la mer (les villes de Massoua et Assab).
§
Une « double guerre civile »(b)
En 1962, le conflit érythréen a déjà
débuté. Le conflit entre l’Érythrée et l’Éthiopie,
a-t-on coutume de dire, a duré trente ans (la date de fin étant
soit la victoire, en 1991, soit l’indépendance, en 1993). La guerre,
effectivement, a duré trente ans. Mais — et c’est là toute
l’ambiguïté — les belligérants n’ont pas toujours été
les mêmes : une même cause (la lutte pour l’indépendance)
a en effet tour à tour servi des intérêts différents,
voire opposés.
Les premiers opposants à l’Éthiopie sont des musulmans.
Ils sont aidés par l’Égypte et le Soudan au nom du panarabisme
— d’où les développements du conflit israélo-palestinien
durant le conflit érythréen(14). Leur mouvement, le Front de
Libération de l’Érythrée (FLE), naît en 1961.
La revendication d’indépendance du FLE s’inscrit dans la lutte pluriséculaire
des musulmans pour conserver leurs droits face au pouvoir centralisateur
de l’Éthiopie chrétienne. Or en 1970, un groupe d’obédience
marxiste, prend la direction de la lutte : les Forces populaires de libération
(FPLE), fondées par Issaïas Afeworki (protestant laïque,
actuel président de l’Érythrée) et recrutant dans
les populations chrétiennes. Parallèlement à la guerre
contre l’Éthiopie, les combattants du FPLE vont mener une guerre
sans merci contre le FLE : en 1980, le FPLE devient la seule force luttant
contre la domination éthiopienne ; la résistance musulmane
a été entièrement évincée. La prépondérance
finale acquise par le FPLE marque ainsi le glissement d’une lutte menée
au nom de l’islam contre un pouvoir central perçu comme chrétien,
à une lutte menée par les chrétiens érythréens
contre les chrétiens amharas éthiopiens. Les deux communautés
religieuses n’ont donc pas fait front commun dans la guerre : ce qui explique
que l’on ait pu qualifier le conflit de « double guerre civile »(b)
§
La chute du régime éthiopien
Les maquisards du FPLE sont peu à peu devenus une véritable
armée régulière et disciplinée qui contrôle
d’abord le Nord puis l’Ouest (ancien bastion du FLE, à la frontière
soudanaise), et finalement la côte est. La ville de Nafka acquiert
valeur de symbole — c’est là que butent l’une après l’autre
toutes les offensives de l’armée éthiopienne : « Cette
petite ville de six mille habitants, juchée sur un plateau, fut
cent fois bombardée, réduite en cendres, rasée mais
jamais conquise. Pour les Érythréens, elle est la capitale
symbolique du pays »(a). En février 1990 les rebelles du FPLE
prennent le port de Massoua : « C’est pour la mer — d’abord — qu’on
s’est battu. Enveloppée de légendes, Massoua incarnait un
grand dessin impérial maritime »(a). Puis le FPLE assiège
Assab, ultime débouché maritime de l’Éthiopie : la
victoire est proche.
C’est alors qu’intervient un nouvel élément, décisif
pour comprendre l’histoire de cette guerre : la défaite de l’armée
éthiopienne n’est pas le seul fait des indépendantistes érythréens.
La défaite (puis la chute) du régime éthiopien est
également due à la rébellion de la province du Tigré.
Le Front Populaire de Libération du Tigré, fondé en
1975 et d’inspiration socialiste, ne revendique pas l’indépendance.
Il s’oppose au pouvoir central des Amharas, détenteurs du pouvoir
à Addis-Abeba. En mai 1989, après une tentative de coup d’État,
les rebelles tigréens se réfugient en Erythrée ; ils
y reçoivent la protection du FPLE. Les deux groupes rebelles, dont
la proximité est historique et linguistique (la langue tigrinya,
cf. supra), s’entraident donc contre l’oppresseur commun. Lorsque l’armée
éthiopienne est défaite en Érythrée, au printemps
1991, les rebelles tigréens entrent dans Addis-Abeba : Mengitsu
Haïlé Mariam est contraint de s’enfuir au Zimbabwe. Meles Zenawi,
chef des rebelles tigréens, s’empare du pouvoir. Tigréen
(peuple très minoritaire) à la tête d’un empire extrêmement
composite, Meles Zenawi défend le « régionalisme ethnique
» : rompant de front avec la tradition centralisatrice(15), il fait
voter, en décembre 1994, une nouvelle constitution qui reconnaît
aux neuf principales « nationalités » de l’Éthiopie
le droit à l’identité culturelle.
Meles Zenawi, nouveau dirigeant de l’Éthiopie, s’entend
avec son ancien compagnon d’armes, Issaïas Afeworki sur le principe
de l’indépendance de l’Érythrée. Un référendum
a lieu en avril 1993 : « Voulez-vous que l’Érythrée
soit un pays indépendant et souverain ? » La communauté
internationale ne s’inquiète pas outre mesure de cette remise en
cause du principe (pourtant ô combien sacré) de l’intangibilité
des frontières : la naissance de l’Érythrée ne peut
faire jurisprudence ou servir d’argument pour les territoires ayant des
velléités d’indépendance, car ses frontières
renouent avec une entité créée par les colonisateurs
— or, nulle part ailleurs dans le monde, un cas similaire ne pourrait être
invoqué. Le « oui » à l’indépendance l’emporte
à 99,8%. La naissance du 52e État d’Afrique est proclamée.
Issaïas Afeworki est élu président de l’Érythrée.
Mais bientôt, les accrochages se multiplient avec l’Éthiopie.
En 1998, la guerre reprend.
§
La reprise de la guerre
C’étaient sans doute les tensions avec les musulmans que le
nouveau pouvoir érythréen devait penser avoir à affronter(16).
Si, dans la Constitution, l’arabe est langue officielle à côté
du tigrinya, le pouvoir central reste en effet mal accepté par beaucoup
de musulmans : le mouvement du FLE s’est reconstitué en exil, notamment
au Soudan. Suite à l’infiltration de guérilleros islamiques
opérant à partir ce pays, Afeworki a parlé, au printemps
1993, de « déclaration de guerre ».
Mais c’est avec l’Éthiopie qu’a repris la guerre : Menes
Zelawi et Afeworki, alliés d’hier contre Mengitsu, se combattent
depuis mai 1998. La dispute sur le tracé des frontières n’a
fourni qu’un prétexte à l’escalade militaire, puis à
la guerre : « s’il s’agissait seulement de départager quelques
centaines de kilomètres de terrains pierreux, le conflit aurait
déjà pris fin » (17). L’Éthiopie s’est jetée
à corps perdu(18) dans la nouvelle guerre ; en mai 2000, ses troupes
sont à 100 km d’Asmara : de sorte que les négociations avec
l’Érythrée, entamées depuis la signature d’un cessez-le-feu
en juin 2000, devraient être favorables à l’Éthiopie.
Le déploiement d’une force de maintien de la paix des Nations Unies
sur une bande de 25 km de largeur (à l’intérieur du territoire
érythréen), le long des 1000 km de frontière commune
entre les deux pays, est prévu.
Le but de la victoire ? Pousser au départ d’Afeworki,
(déjà privé du commandement militaire en raison d’une
défaite, début 1999) et « placer à Asmara un
chef docile »(17). Mais encore ? « La victoire, alors, ferait
revenir l’Érythrée dans l’orbite éthiopienne »(17).
On retrouve là le véritable enjeu du problème : l’accès
de l’Éthiopie à la mer. L’Éthiopie, dont les exigences
ont grossi au fur et à mesure de ses conquêtes, réfléchirait
« à l’obtention de facilités d’accès au port
d’Assab sur la mer Rouge » (19) — en vertu d’un accord, Addis-Abeba
payait jusqu’à présent de lourdes taxes à l’Érythrée
contre l’utilisation du port d’Assab. Le problème fondamental est
donc l’enclavement de l’Éthiopie, qui ne veut se passer d’une façade
maritime, et pour qui l’usage du port de Djibouti s’avère très
onéreux. L’Éthiopie ne veut en outre pas se priver des capacités
économiques de son ancienne province : elle ne veut se résoudre
à n’être qu’un « pourvoyeur en main-d’œuvre bon marché
»17 pour une Érythrée que certains appellent le «
Singapour africain »17, du fait de son taux de croissance à
deux chiffres — son développement économique accéléré
ayant été appuyé par l’aide internationale(20).
§
« Les téléfilms érythréens tricotent
de sempiternelles histoires de combattants trahis et d’amours impossibles.
Les romans populaires, les bandes dessinées, les livres pour enfants
ne parlent encore que des combats d’hier et de la tyrannie vaincue. Il
y a aussi les affiches, les timbres-poste, les monuments et le nom des
rues... Ici, le souvenir d’une guerre si longue, obstinément conduite
et gagnée [...], est le vrai fondement de l’identité nationale
», écrivait Jean-Claude Guillebaud(a) en 1996. Deux ans plus
tard, l’expression « souvenir d’une guerre » n’était
plus de mise ; la guerre était de nouveau là, avec toujours
les mêmes enjeux : la façade maritime et le développement
économique de l’Éthiopie, la tutelle du pouvoir central amhara
sur le particularisme tigréen, l’opposition entre l’islam et la
chrétienté. Les Érythréens ont-ils eux-mêmes
cru à leur identité nationale, alors même que la lutte
pour l’indépendance s’était accompagnée de l’éviction
des musulmans ? Peut-être : naissance tragique d’une nation.
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