ARISTOPHANE
conservateur, féministe et utopiste
R de réel
Volume A (janvier 2000)
Savoir
(Articles)

N.B. Depuis la parution de cet article (janvier 2000), Laetitia Bianchi et Raphaël Meltz, responsables de R de réel, ont retraduit Lysistrata chez Arléa (2003). Cf. présentation.


 
 
 
  Dessin d’après
Léonard Thiry
(~1500-1550)
Bustes de personnages de profil,
Bibliothèque nationale, Paris.

 
 
 Aristophane
~450-386
av. J.C.
auteur de
comédies
à Athènes

 
 
 
 
BIBLIOGRAPHIE

- Pascal Thiercy, préface à l’édition Pléiade 1997.
- V.-H. Debidour, Aristophane, Seuil, collection « écrivains de toujours », 1979.
- Cl. Mossé, La femme dans la Grèce antique, Albin Michel, 1983.
- J.-P. Vernant, P. Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grêce ancienne, La Découverte, 1995.
 
 
 
 

TRADUCTIONS

Aristophane aurait aimé Nabokov, lequel aimait « les vieux maîtres, les jeunes maîtresses et les jeux de mots d’âge intermédiaire » (Ada ou l’ardeur, 1969). Aristophane aurait aimé Nabokov, lequel n’aimait pas les traducteurs. Aristophane aurait écrit de bien méchantes pièces sur les traducteurs, dont beaucoup l’ont rendu presque illisible de nos jours, à force de formules alambiquées, de langage châtié et de notes de bas de page expliquant que c’était vraiment drôle en grec mais qu’en français non, que c’était vraiment très obscène en grec mais qu’en français non. Ainsi les traductions de M.J. Alfonsi (Garnier Flammarion, 1966) et H. van Daele (Belles Lettres, édition bilingue, 1927) ne sont-elles drôles que par leurs efforts pour faire passer inaperçus les jeux de mots sexuels, la deuxième n’hésitant pas à en traduire un en note de bas de page, et... en latin.
Les deux meilleures traductions de l’œuvre complète d’Aristophane sont celle de Pascal Thiercy (Pléiade, Gallimard, 1997) et celle de Victor-Henry Debidour (Livre de Poche, 1966) - cette dernière étant parfois un peu plus inventive et enjouée, et ayant l’avantage d’être moins chère.
Signalons d’autre part la traduction de Lysistrata  par le Groupe de Théâtre Antique de l’Université de Neuchâtel (1990).
Les passages cités dans cet article sont tous des traductions originales de l’auteur.
 
 
NOTES

1. Attribué à Plutarque, ~46-125, in Comparaison entre Aristophane et Ménandre.
2. ~399-344 av. J.-C, dit aussi Denys de Syracuse. Tyran de Syracuse (ville de l’actuelle Sicile), libéral et idéaliste, qui appela en vain Platon auprès de lui pour l’aider à organiser la République idéale.
3. ~349-407, prêtre d’Antioche (actuelle Turquie), célèbre par sa prédication, d’où son surnom « bouche d’or ».
4. Catégorie d’étrangers libres. Ils payent une taxe, le métoikion, afin de pouvoir travailler et résider dans la cité, mais ne jouissent pas de la citoyenneté.
5. Sur les femmes et les esclaves, les avis divergent : V.-H. Debidour (cf. bibliographie) pense qu’ils assistaient aux pièces, ce que conteste P.Thiercy.
6. Les Acharniens et Les Grenouilles  d’Aristophane reçurent par exemple le premier prix de comédie.
7. In Les Guêpes, 667-668.
8. 525-446 av. J.-C. Les pièces d’Eschyle mettent en scène l’impuissance des hommes face à leur destin tragique.
9. 480-406 av. J.-C. Peu apprécié de ses contemporains, Euripide innove dans la forme en réduisant le rôle du chœur, et en négligeant le mythe au profit de la psychologie des personnages.
10. Attribué à Platon, 428-348 av.J.-C., lequel, dans le Banquet,  imagine un discours d’Aristophane sur l’amour.
11. Ainsi Les Guêpes, Les Acharniens, Les Cavaliers...
12. Octobre 1917-mars 1918.
13. In Place à Éros ailé !, 1923.
14. Qui a le nez écrasé.
15. Ce passage est notamment conseillé à ceux qui ont crié au génie à propos de la scène de l’Ennui de Cédric Kahn (1999) où l’homme demande à sa partenaire d’aller lui chercher un verre d’eau, puis de fermer les rideaux, etc. afin de retarder l’acte sexuel.
16. Du nom des mystères des deux déesses dites « thesmophores » (qui apportent la civilisation), Déméter et sa fille Perséphone..
On peut critiquer Aristophane.
À la manière du Petit Robert : « un mélange permanent de grossièreté et de poésie a fait le succès de ce théâtre, adapté au goût et à la pensée d’un public méfiant, égoïste et irréligieux ». Ou de Plutarque : « Chez lui, le savoir n’est pas l’expérience de la vie, il est coquinerie ; la rusticité n’est pas naïve, elle est sotte ; le ridicule n’est pas enjoué, il est purement bouffon ; quant à l’amour, il n’est pas joyeux, il est débauché »(1). On peut préfacer Aristophane en prenant des pincettes à l’attention des quelques lecteurs : on peut leur dire que certes l’obscénité est choquante mais qu’il faut être indulgent, voyez-vous la notion de pudeur n’existait pas à l’époque (l’époque c’est à peu près entre 420 et 400 av. J.-C.).
On peut aimer Aristophane. À la manière de Platon, qui, voulant donner à Denys(2) le Jeune une idée de la constitution d’Athènes, lui envoya toute l’œuvre d’Aristophane. Ou de Saint Jean Chrysostome(3), lequel en avait fait son livre de chevet. On peut apprécier Aristophane, et rappeler combien il est émouvant d’entrevoir, grâce à son théâtre, la vie quotidienne de la Grèce antique. De voir les détails les plus infimes y côtoyer les débats les plus nobles, la transparence d’une robe être liée à la question de la guerre. On peut apprécier l’humour obscène d’Aristophane. On peut rappeler que l’obscénité peut être un effet comique délibéré au sein d’une œuvre littéraire, sans que cette œuvre soit elle-même vulgaire. Aristophane multiplie les jeux de mots vulgaires, et ses pièces sont pleines de finesse. Il en aurait écrites quarante-quatre ; onze seulement sont parvenues jusqu’à nous. Onze comédies grivoises et philosophiques.
Les comédies sont nées à l’occasion de fêtes religieuses païennes : les Grandes Dionysies et les Lénéennes. On y célébrait par des sacrifices, des banquets, des chants et des danses, le dieu du vin et du théâtre, Dionysos. Des cortèges de personnages déguisés (les kômoi) défilaient dans le tumulte. Au sein de festivités religieuses, le théâtre était une fête de l’esprit vécue par l’ensemble de la collectivité : tout le monde s’y rendait, les citoyens, les étrangers, les métèques(4), et peut-être même les femmes et les esclaves(5). Un classement était effectué parmi les pièces, séparées en fonction de leur genre : tous les ans, un premier et un deuxième prix étaient décernés au concours de tragédie et au concours de comédie. Les pièces gagnantes étaient rejouées. Tous les classements ne sont pas parvenus jusqu’à nous - on sait cependant qu’Aristophane connut à plusieurs reprises les faveurs du public(6). L’influence des pièces sur l’opinion était considérable. Platon appelait d’ailleurs la république d’Athènes une « théâtrocratie » : le pouvoir du théâtre, car le théâtre avait trop de pouvoir - comme de nos jours les Guignols de l’Info ? Les comédies transmettaient en effet un message politique ou moral. Aristophane a ainsi violemment raillé tous les chefs du peuple, Périclès, Cléon, Hyperbolos ou Cléophon, qu‘il nomme « ces lascars-là, les «je-ne-trahirai-pas-les-masses», les «je-lutterai-toujours-pour-le-peuple-d’Athènes» ! »(7), toutes les institutions, le Sénat, l’Assem-blée, les magistrats, les tribunaux, les sophistes, et enfin le peuple, perpétuelle victime des politiciens et démagogues - à tel point qu’on a pu qualifier son théâtre de réactionnaire. Et il est vrai qu’Aristophane a un petit côté « tout fout le camp » : il idéalise la grandeur du passé, symbolisée par Eschyle, un grand auteur « ancien ». Dans Les Grenouilles, Aristophane imagine ainsi l’intrigue suivante : le dieu Dionysos, dégoûté de ne plus voir représenter que de mauvaises tragédies, se rend aux Enfers pour ramener sur terre un bon auteur. Ne sachant qui choisir entre Eschyle(8) et Euripide, il organise une confrontation. Chacun plaide sa cause. On finit par peser les vers de chacun dans une balance ; celle-ci penche toujours du côté d’Eschyle. En matière littéraire, Aristophane est donc conservateur, dans la mesure où préférer Eschyle à Euripide, c’est ne pas avoir compris la portée des innovations littéraires introduites par le théâtre d’Euripide(9). Aristophane méprise par ailleurs les sophistes, ces beaux parleurs ayant l’art de faire passer le mal pour le bien, parmi lesquels il range méchamment Socrate. Dans Les Nuées (423 av. J.-C.), Aristophane montre ainsi un père qui envoie son fils prodigue étudier auprès de Socrate : de retour à la maison, le fils ne respecte plus rien, et gifle son père, lequel pour se venger met le feu à la maison de Socrate. Les commentateurs ont souvent été très irrités par cette erreur de jugement envers Socrate. Ils se montrent par là moins indulgents que le plus célèbre disciple de ce dernier : Platon, lequel aurait composé cette épitaphe : « Les Grâces, cherchant un temple qui ne dût pas périr, choisirent l’âme d’Aristophane. »(10) Sur le plan politique enfin, nous l’avons dit, Aristophane ne manque pas une occasion de rappeler l’impossibilité de vivre dans son Athènes contemporaine en proie à la guerre, à la démagogie et aux procès incessants. Pour ce faire, il écrit des pièces ouvertement politiques d’une part(11), et des utopies d’autre part.
Ce sont des utopies féministes d’Aristophane que nous avons choisi de parler ici. Car l’originalité d’Aristophane est de choisir, en guise de porte-parole à ses rêves nostalgiques de paix et de bonheur, les femmes. Ces femmes qu’il raille sans cesse, et dont les jeux de mots obscènes ont pu être considérés comme misogynes, elles seules trouvent grâce à ses yeux. Elles seules sont assez folles et assez sages pour refaire le monde. Elles inventent la paix perpétuelle et le communisme - et pour ce faire, le féminisme. Inscrire la parité dans la constitution athénienne ? Demi-mesure : chez Aristophane, ce sont les femmes et les femmes seules qui doivent gouverner, puisque les hommes ne savent instaurer ni la paix ni l’égalité.
Praxagora, l’héroïne de L’Assemblée des femmes (~392 av. J.-C.), convainc ainsi ses amies de se déguiser en hommes, afin de se rendre en cachette à l’Assemblée et d’y faire voter un changement constitutionnel qui donnera le pouvoir aux femmes. Voilà la chose faite. « La Cité sera donc heureuse à l’avenir ! » s’écrie Praxagora. Et les hommes de demander : « Pourquoi ? » Pourquoi ? Car les femmes instituent la fin des inégalités : la communauté des biens.

PRAXAGORA
« Personne ne fera plus rien par pauvreté, tous auront tout : pain, salaison, gâteaux, manteaux, vin, couronnes, pois chiches. Aussi, que gagnera-t-on à ne pas mettre tout en commun ? Trouve le moyen de me le prouver ».

Les hommes sont séduits. Ils le sont encore plus lorsqu’ils apprennent que les femmes aussi font partie du bien commun. Les femmes d’Aristophane auraient trouvé Lénine petit-bourgeois, lui qui défendait « le mariage civil prolétarien avec amour » contre les excès « gauchistes anarchistes » d’Alexandra Kollontaï. Celle-ci, qui fut, pour une courte durée(12) commissaire du peuple aux Affaires sociales au sein du gouvernement bolchevik, tenait(13) à peu près le même discours que Praxagora. Mais Alexandra Kollontaï, outre le fait qu’elle était sérieuse, était moins au point que cette dernière sur les détails pratiques d’organisation :

PRAXAGORA
Les vilaines et les camardes(14) seront assises à côté des belles, et qui désirera celle-là, éprouvera d’abord la vilaine. (...) Les laids surveillerons les beaux quand ils sortiront après dîner, les épieront dans les endroits publics, et il ne sera pas permis aux femmes de coucher avec les beaux avant de s’être prêtées aux laids et aux petits.

Le partage de la richesse s’avère également bien difficile. Un homme affirme ainsi : « Il faut pourtant, mon Dieu, que je trouve un moyen pour garder à la fois les biens que je possède et partager avec ces gens-là ce qu’on fricasse en commun ». Aristophane ne lui donne pas de nom : il est « l’Homme » ; il est la nature égoïste de tous les hommes. Il quitte la scène en s’écriant à lui-même qu’il a trouvé « une idée lumineuse » pour ne pas jouer le jeu de l’égalité. Aristophane ne prend pas la peine d’expliciter cette « idée lumineuse » : il sait bien que chacun la connaît - puisque le communisme n’existe pas. L’Assemblée des femmes est donc une pièce qui finit délibérément en queue de poisson, comme une utopie.

Aristophane contre la guerre à présent.
Il y a environ trente ans, on entendait partout cette petite phrase : « faites l’amour, pas la guerre ». C’est qu’il y avait une guerre au Viêt-nam. Il y a environ deux mille quatre cent onze ans, en 411 av. J.-C., Aristophane écrivit une grande pièce sur cette petite phrase : Lysistrata. C’est qu’Athènes était en guerre contre Sparte.
Faire l’amour plutôt que la guerre : plaidoyer pour la paix, mais non solution à la guerre. Car si la guerre est déjà là, on peut au mieux faire l’amour et la guerre, mais l’expérience prouve que faire l’un n’arrête pas l’autre. C’est pourquoi Lysistrata, femme d’un important citoyen athénien, imagine un mot d’ordre plus efficace : « ne faites pas l’amour pour arrêter la guerre ». Aux yeux d’Aristophane, seule une femme peut imaginer un vrai moyen d’arrêter la guerre. Dans L’Assemblée des femmes, il faisait déjà dire à Praxagora, déguisée en homme : « Je déclare qu’il faut livrer la cité aux femmes ! (...) Laissons-les simplement gouverner, et ne voyons qu’une chose, c’est qu’étant mères, elles auront d’abord à cœur de sauver les soldats. »
Lysistrata convoque donc les femmes d’Athènes et celles de toute les autres cités grecques (occasion pour l’auteur de donner un petit échantillon des patois de l’époque) pour leur soumettre son idée.

CLEONICE
Et que veux-tu que des femmes inventent, comme idée maligne ou lumineuse ? Nous qui passons nos journées assises, bien fardées, bien pomponnées, avec nos petites robes couleur safran, nos manteaux droits et nos belles chaussures...
LYSISTRATA
Eh bien, c’est ça qui va nous sauver, justement, je crois : les petites robes jaunes, les parfums, les belles chaussures, le maquillage, les petites chemises transparentes...

Après bien des difficultés, Lysistrata finit par convaincre l’ensemble des femmes de souscrire à ce petit chantage, auquel les hommes ne devraient pas résister longtemps. Le serment que doivent prêter les femmes est le suivant :

LYSISTRATA
« Nul, ni mari, ni amant...
CLEONICE
« Nul, ni mari, ni amant...
LYSISTRATA
« Ne m’approchera en érection. » Répète.
CLEONICE
« Ne m’approchera en érection. » Ah ! mes genoux fléchissent, Lysistrata.
LYSISTRATA
« Je passerai ma vie à la maison, sans mâle...
CLEONICE
« Je passerai la vie à la maison, sans mâle...
LYSISTRATA
« M’étant mise en beauté dans ma tunique jaune...
CLEONICE
« M’étant mise en beauté dans ma tunique jaune...
LYSISTRATA
« Pour que d’un plus grand feu mon mari brûle...
CLEONICE
« Pour que d’un plus grand feu mon mari brûle...
LYSISTRATA
« Jamais je ne céderai de bon gré à mon homme
CLEONICE
« Jamais je ne céderai de bon gré à mon homme
LYSISTRATA
« Et s’il me force malgré moi...
CLEONICE
« Et s’il me force malgré moi...
LYSISTRATA
« Je me prêterai mal et resterai inerte...
CLEONICE
« Je me prêterai mal et resterai inerte...
LYSISTRATA
« Et ne lèverai point mes jambes au plafond...
CLEONICE
« Et ne lèverai point mes jambes au plafond...
LYSISTRATA
« Je ne prendrai pas une pose de lionne sur une râpe à fromage...
CLEONICE
« Je ne prendrai pas une pose de lionne sur une râpe à fromage...
LYSISTRATA
« Qu’il me soit donné de boire ce vin, si je tiens mon serment...

Voilà donc les femmes s’emparant de la citadelle de la ville, puis barricadées à l’intérieur. Elles ne doivent pas en sortir tant que durera la guerre. Mais l’abstinence générale n’est pas si simple : une troupe de vieillards malintentionnés (les maris étant en campagne) tente de forcer les portes de la citadelle, des femmes inventent tous les prétextes pour courir rejoindre leurs maris, des maris sont soumis au supplice de Tantale sexuel(15). A bout de nerfs, les hommes finissent par céder : la paix est conclue. A la bestialité de la guerre, Aristophane oppose donc une autre bestialité : celle du sexe.
Hommes et femmes à égalité. Ou, à l’occasion, femmes un peu supérieures, ce qui ne va pas sans inquiéter les hommes - ainsi dans L’Assemblée des femmes :

BLEPYRO
 [apprenant que les femmes ont le pouvoir]
Ce qu’il y a à craindre pour ceux de notre âge, c’est qu’une fois qu’elles auront en main les rênes de l’État, elles ne nous forcent par la violence.
CHREMES
A quoi ?
BLEPYROS
A les baiser.
CHREMES
Et si nous ne pouvons pas ?
BLEPYROS
Elles ne nous donneront pas notre déjeuner.
CHREMES
Eh bien, mon Dieu, force-toi, de façon à déjeuner et à baiser à la fois.
BLEPYROS
Le faire à contrecœur est très pénible.
CHREMES
Mais si ça doit profiter à l’État, il faut que chaque homme le fasse.

L’humour d’Aristophane, en matière de guerre des sexes, fourmille de trouvailles de langage et de mise en scène. Il est, suivant les répliques, délibérément cru ou délibérément émouvant, toujours drôle. Les Thes-mophories16 (411 av. J.-C.) sont l’exemple d’une pièce où coexistent attaques en règle et défenses de la gent féminine. L’intrigue de la pièce est la suivante : les femmes, excédées de servir constamment de cible aux sarcasmes d’Euripide, décident de se venger. Euripide, apeuré, convainc un parent à lui de se travestir pour se rendre auprès des femmes et défendre sa cause. Mais ce dernier s’y prend de manière curieuse : il affirme que les femmes devraient savoir gré à Euripide de n’avoir révélé dans ses pièces qu’une part infime de leurs vices...

LA PREMIERE FEMME
Dans laquelle de ses pièces il ne nous a pas calomniées ? Au moindre spectateur, tragédien ou chœur, nous voilà bonnes, nous « les galantes, les coureuses de mâles, les buveuses de vin, les traîtresses, les radoteuses, les pourritures, le fléau des maris » ; conséquence, à peine rentrés du théâtre, nos maris nous regardent de travers et courent vérifier s’il n’y a pas un amant caché dans la maison. (...) Nos maris maintenant portent sur eux de petites clés secrètes, tout ce qu’il y a de plus méchant, des espèces de sales petites clés à trois dents. Avant on pouvait au moins fermer la porte en douce, en nous faisant faire une petite clé toute simple pour trois sous, mais maintenant Euripide, ce fléau des familles, leur a appris l’usage de ces petites clés sophistiquées qu’ils gardent toujours sur eux. Voilà, je pense donc qu’il nous faut machiner sa perte d’une manière ou d’une autre, par empoisonnement ou tout autre truc : pour qu’il meure.

Et le Chœur (le groupe de chanteurs commentant l’action) qui se moque :

LE CHŒUR
Jamais encore je n’avais ouï femme plus retorse. Femme à l’élocution si ingénieuse. Tout ce qu’elle dit est juste. Elle a épluché à fond tous les concepts. Elle a tout ressassé dans son âme. Son esprit sagace a fait surgir des arguments multiples. D’authentiques découvertes.

Mais c’est ce même Chœur de femmes qui offre un des plus jolis passages d’Aristophane sur les femmes :

LE CHŒUR
Nous sommes le grand fléau des hommes. Tout vient de nous. Les procès. Les disputes. Les rébellions terribles. Les chagrins. Les guerres. Mais voyons, puisque nous sommes un fléau, pourquoi nous épousez-vous, hein, puisque nous sommes un fléau ? Pourquoi ne nous laissez-vous ni sortir ni pencher la tête dehors, pourquoi déployez-vous tant de zèle à garder le fléau ? S’il arrive que votre petite femme soit sortie et que vous la trouviez dehors, vous voilà fous furieux, alors que vous devriez vous réjouir si vraiment vous estimiez que le fléau a décampé, si vous ne trouviez plus le fléau à la maison !
 

Madeleine Van Oyen


 
 
 
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