Jeux
du Moyen Âge
 
R de réel
Imaginaire
(Articles)

Gargantua, dit Rabelais, jouait...
« [...] aux fleux, au cent, à la prime, à la vole, à le pille, à la triumphe : à la picardre, à l’espinay, à trente & un, à la condemnade, à la carte virade, au moucontent, au cocu, à qui a si parle, à pille : nade : iocque : force, à mariage, au gay, à l’opinion, à qui faict l’un faict l’autre, à la sequence, aux luettes, au tarau, à qui gaigne perd, au belin, à la ronfle, au glic, aux honneurs, à l’amourre, aux eschetz, au renard, aux marrelles, aux vasches, à la blanche, à la chance, à troys dez, aux talles, à la nicnocque. A lourche, à la renette, au barignin, au trictrac, à toutes tables, aux tables rabatues, au reniguebleu, au force, aux dames : à la babou, à primus secundus, au pied du cousteau, aux clefz, au franc du carreau, à par ou sou, à croix ou pille, aux pigres, à la bille, à la vergette, au palet, au iensuis, à fousquet, aux quilles, au rampeau, à la boulle plate, au pallet, à la courte boulle, à la griesche, à la recoquillette, au cassepot, au montalet, à la pyrouete, aux ionchées, au court baston, au pyrevollet, à cline musseté, au picquet, à la seguette, au chastelet, à la rengée, à la souffete, au ronflart, à la trompe, au moyne, au tenebry, à l’esbahy, à foulle, à la navette, à fessart, au ballay, à sainct Cosme ie viens adorer, au chesne forchu, au chevau fondu, à la queue au loup, à pet en gueulle, à guillemain baille my ma lance, à la brandelle, au trezeau, à la mousche, à la migne migne beuf, au propous, à neuf mains, au chapifou, aux ponts cheuz, à colin bridé, à la grotte, au cocquantin, à collin maillard, au crapault, à la crosse, au piston, au bille boucuet, aux roynes, aux mestiers, à teste teste bechevel, à laver la coiffe ma dame, au belusteau, à semer l’avoyne, à briffault, au molinet, à defendo, à la virevouste, à la vaculle, au laboureur, à la cheveche, aux escoublettes enraigées, à la beste morte, à monte monte l’eschelette, au pourceau mory, à cul sallé, au pigeonnet, au tiers, à la bourrée, au sault du buysson, à croyzer, à la cutte cache, à la maille bourse en cul, au nic de la bondrée, au passavant, à la figue, aux petarrades, à pillemoustard, aux allouettes, aux chinquenaudes. »

in Gargantua, Chap. XX. (1534)
 


 

VOLUME A :
nicnocque

14 janvier 1522: Tristan d'Harquionces affronte Guillaume de Villehart.
 
On ne le répétera jamais assez : au jeu de nicnocque, la meilleure attaque, c’est la défense. Jehan Bausffroix ne le sait que trop. Quelques minutes avant le commencement du match, il chuchotait encore à l’oreille de son protégé Tristan d’Harquionces le dicton « défendre son cloque, c’est niquer le noque ». Mais il faut croire que Tristan n’était pas totalement lui-même hier soir. Lui qui nous a habitués aux élégantes bisqueboutes retournées s’est vu housquepiller sur sa défense favorite, la fameuse « harquicloque ». En deux temps trois mouvements, le solide mais d’ordinaire moyen Guillaume de Villehart s’est imposé : faisant se succéder plaquisnoquades et plaquosniquades à une vitesse vertigineuse, dans la droite lignée d’un Blaise Cambrésis, il n’a jamais laissé à son adversaire l’occasion de rabibocher son cloque à dextre, ce qui aurait pourtant pu lui permettre de reprendre pied dans la partie. Dès la fin de la première lampe, c’en était quasiment fait de Tristan, sur le pénible score de 37 à 2.
Parmi l’audience, on pouvait entrapercevoir la jolie Horthense pleurant dans les bras de sa sœur Marguerite, cependant que Louys de Villehart arrivait juste à temps pour voir son cousin assommer son adversaire d’un dernier splendide palastron dévrillé, coup rarissime en fin de partie du fait de la concentration qu’il requiert. Grande déception donc du côté des d’Harquionces, qui ne songeaient même pas à cacher leur découragement face à la mauvaise saison réalisée par Tristan. Jehan sortait pour l’occasion un autre de ses dictons, « qui ni noque ni pique, on le nique ou on le ploque », laissant ainsi paraître un énervement certain vis-à-vis de son élève. Les Villehart s’en allaient quant à eux fêter en grande liesse « le succès d’un nouveau nicnocqueur de génie » au Bœuf-Qui-Pleurniche.
Les matchs amicaux de seconde catégorie doivent reprendre à Salernes demain après-midi, sous réserve d’un temps clément.
 
 
 
VOLUME B :
migne migne boeuf

11 mars 1547: Enguerrand Guesvre bovimignemigne sans corne férir.
 
Afin de clore les festivités pascales, une grandiose partie de migne migne bœuf s’est déroulée hier après-midi sur la place du Marché de Buci. C’est au célèbre bovimignemigneur Enguerrand Guesvre qu’a été attribué l’honneur de mener cette partie, après les tergiversations que l’on sait.
Vers midejour, un bœuf de forte taille répondant au nom de Grisemine a été conduit sur la place, au milieu d’une indescriptible cohue. Son propriétaire, le tonnelier Nicobert, répétait à qui voulait l’entendre que ledit Grisemine était capable de trottiner dix-sept minutes durant tout en tirant 41 tonneaux de Blanc Chasteau Latourelle. Le clan des Guesvre avait beau ricaner et crier au bloffe, quelques minutes avant le début de la partie, les paris s’élevaient à 9 contre 1 en faveur de Grisemine, et l’on entendait bien des badauds fredonner « Grisemine, c’est un bœuf qu’on ne migne ni ne migne, c’est sa victoire qu’il rumigne et rumigne ». La suite devait leur donner tort.
La partie venait en effet à peine de commencer qu’Enguerrand Guesvre, surprenant Grisemine par une virevoulte détrapée, lui accrochait avec prestance trois œillets d’un coup d’un seul à l’oreille droite, œillets qu’il dédiait par un clin d’œil appuyé à la charmante Laurette de Pompignan, assise au premier rang de l’assistance. Grisemine avait beau déjouer par la suite quelques assauts, voilà qu’il se faisait à nouveau surprendre à la septième minute du jeu et se retrouvait avec deux nouvelles fleurettes entre les cornes. Cette première partie du jeu confirmait ainsi la dextérité printanière d’Enguerrand, tout en laissant transparaître une mollesse au trottinage inhabituelle chez un puissant animal comme Grisemine.
Pendant l’entrejeu, la belle Musardine, vêtue de son éternel châle rouge, entonnait a capella le traditionnel Et migne et migne qui pourra, Sa migne migne charmera ; les spectateurs s’en allaient ci et là acheter qui une pâte de topinambour, qui un cornet de nèfles caramélisées ; Grisemine reprenait des forces en mâchonnant l’oreille d’un spectateur enfermé dans son boquse suite à un petit règlement de comptes ; des badauds observaient Enguerrand, lequel avait rejoint une Laurette de Pompignan encore toute sous le charme de ses exploits : il lui susurrait la contine galante Mignonne, allons voir si la rose, ce matin éclose, ce gros bœuf l’avaler ose, puis repartait mener la deuxième partie du jeu d’un pas terrible.
Malgré force voultes et virevoultes, notre pauvre bœuf ne parvenait plus à échapper aux moultes mignes fleuries d’Enguerrand, lequel courrait comme un diable en feste. Douze minutes plus tard, Grisemine ressemblait à un parterre d’œillets sur pattes : Enguerrand avait réussi à déposer 36 fleurettes entre ses cornes.
Sous les sifflements de la foule, Grisemine était condamné à repartir, la mine grise, labourer le champ de luzerne du comte d’Ardisson, attelé à un âne lunatique acheté dans un accès de folie douze écus lors de la dernière foire du dimanche.
 
 
 
VOLUME C :
laver la coiffe ma dame

21 mai 1503: Coeur de Pierre?
 
Les autorités ont beau dépêcher aux trois coins de la ville des quarterons de brigadiers acolytés de piteboules et autres mastifs avides de croquer les miteux et leurs mitaines, rien n’y fait: les ardeurs printanières échauffent le chaland, et partout ce n’est que roucoulades et caroulades, jeux et interdits. Si la brigade des mœurs ne sait donc plus où donner de la tête, les brigands de l’amour savent où perdre la leur. Le bouche à bouche à oreille à oreille fonctionne à merveille, et les hauts-lieux du libertinage sont connus de ceux qui de prudes n’ont que l’apparence. Ainsi jeudi encore, la si hardie marquise Sarazine organisait en ses avant-chambres une partie très nocturne de «laver la coiffe ma dame», et ce au nose et à la barbe des autorités.
Vers lune montante, damoiseaux as de la pique et damoiselles très cavalières étaient donc réunis en la grand’salle de l’hôtel de Salassec pour y souper de poules parinières et sorbets de potirons. Toutes n’avaient de bouche que pour les potirons, toutes n’avaient d’oreilles que pour de coquins cancans, et toutes n’avaient d’yeux que pour le beau Pierre, à qui la soirée était dédiée. Pierre avalait joyeusement sa quarte potée de potiron lorsque la suite des événements se précisa: une belle à la coiffe rousse, masquée d’un loup blanc, le matamora amouracheusement. Le silence se fit quelques secondes autour de leur jeu de regards en renards de faïence, puis les convives entonnèrent la rituelle ristournelle:  Dame pardi! prendre le carreau de Pierre, prendre le trèfle de Pierre, prendre la pique de Pierre ! Dame pardi ! dire pis que pendre du cœur de Pierre.» C’est alors qu’une seconde belle, brune de coiffe et de masque, releva le défi. Une autre suivit suivie d’une autre, et voilà que les coiffes les plus alambiquées se succédaient au filtre d’amour. Une huitaine furent victimes du filtrage et maudirent les alambics ; parmi elles l’on reconnaissait malgré son masque d’ombre la belle Lise qui s’en fut, furieuse.
La nuit fut blanche et grise et grisante. Des duels naissaient de querelles, des maquerelles mouraient d’amours duelles. Dans la charmille, le beau Pierre assommait un prétendant trop pressant d’une truelle. La lune éclaira ce spectacle navrant pour les yeux de deux dames qui prirent l’air ébahi de circonstance avant de s’en retourner s’acoquiner ça et là.
Au petit matin, boit-sans-soif et belles-sans-coiffes gisaient cahin-caha dans le plus grand désordre. Albert, le major-d’âmes, murmurait d’un air philosophe «marivaudage n’a point d’âge» en ramassant les vieilles bouteilles.
Les belles ouvraient leurs yeux en minaudant et s’en allaient laver leur coiffe.
 
 
 
VOLUME D :
reniguebleu

10 juillet 1476 : fiers Hyperbates
contre renigueblards roublagueurs

 
Quarante jours que la fière équipe des Hyperbates s’était retirée dans la cave du Relais Louis XI pour stratégificoter la partie, quarante jours que ses membres ne se nourrissaient plus que de fenouilles, sucs-de-courge et autres denrées mnémonifères, quarante jours qu’ils potassaient sans relâche le Glossaire en moultes tomes de nostre belle langue, de ses expressions incongruesques  & rimes érudites. Et voilà les Hyperbates battus à grosses coutures par la plus vile équipe du comté, laquelle avait passé ces mêmes quarante jours à ripailler à la terrasse d’une auberge! Battus par ceux qui, par dérision, ont choisi le nom d’Hypobates! Battus par ceux-là mêmes qui se targuent d’être des renigueblards roublagueurs au vocabulaire limité à quarante-trois mots dont vingt-sept jurons!
Peut-être l’éviction de dernière minute de Johan Le Gros, dont la dextérité adjectivale est légendaire, a-t-elle affaibli les Hyperbates. Mais comment expliquer que cette équipe, duodécavictorieuse des Joutes interrégionales de Reniguebleu, composée entre autres des érudits Luc de Nantes et Abélard Deutiers, lesquels se targuent de maîtriser à eux deux l’ensemble des glossaires à ce jour publiés, se soit effondrée hier soir? Comment comprendre surtout que les vulgaires Hypobates se soient métamorphosés le temps d’une partie en de spirituels reniguebleurs?
Comment expliquer que pendant la prime rounde, Luc de Nantes séchât comme linge au soleil devant la rime «amouracherons», cependant qu’un Hypobate sale et ventru déclamait du taque au taque «Merveilleuse mie nous nous amouracherons / Comme font hommes, nobles bêtes ou moucherons»? Comment ne pas mentionner le désarroi dudit Luc face au mot «acrostiche», que la mâchoire édentée d’un Hypobate replaçait finaudement dans la tournure «En les crocs littéraires d’une riche acrostiche, Je niche le secret que de vous je m’entiche»? Comment expliquer qu’au second rounde Abélard et ses comparses soient incapables de trouver un seul mot-baluchon, alors que les Hypobates trouvaient tour à tour rocococotier, larrondouillard et reniguebleudebresse?
Cruelles joutes verbales! Les séquelles de la défaite d’hier soir sur les Hyperbates sont de taille: à l’aube, Luc de Nantes aurait été aperçu hagard et dyslexique, au comptoir de la Ferme des Lilas où il commandait une quileur de roipe. Plusieurs membres de l’équipe, bouleversés, ne sauraient plus distinguer une asyndète d’une apocope; quant à Abélard Deutiers, il aurait perdu l’usage de la voyelle o.
Johan le Gros, rescapé malgré lui, s’est lancé ce matin dans la vocifération d’une liste d’adjectifs infamants sur ses anciens équipiers: nigauds,  minables, pitoyables, pitableux, bleus comme des renigues... Il en est au cinq cent dix-septième synonyme.
 
 
 

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