Jeunes et vieux cons

Un texte de R de réel pour les « Les Etats Généraux des revues » organisés par Les Inrockuptibles à Beaubourg le samedi 8 juin 2002.

 

 
Nous ne refonderons ni la gauche ni la politique : nous ne sommes ni de gauche ni politisés. Bien sûr, dans notre revue, nous passons des textes de sociologues-de-gauche-et-politisés : mais ils ne prennent un sens pour nous que s’ils sont lus par des lecteurs qui n’en connaissent pas déjà les thèses. Nous ne croyons pas que c’est le énième colloque fonctionnant en vase clos qui résoudra un écart qui, lui, a grossi par un effet boule de neige : discours télévisés, journalistiques et politiques certes, mais aussi quotidiens, familiers, bref discours de la vie de tous les jours. C’est par ces discours, dont chacun d’entre nous est responsable, que commence la crise de la politique.
Du jeune con au vieux con, il n’y a qu’un pas. On donnera toujours raison au jeune con qui brûle une voiture, ne serait-ce que parce qu’il habite dans un quartier moche construit sur ordre d’hommes politiques qui habitent dans des jolis quartiers avec, en guise de bruits et d’odeurs, du Vivaldi et des sushis. On donnera toujours raison au jeune con qui vole une voiture pour faire un tour, ne serait-ce que parce qu’il y a des vieux cons qui volent l’argent de l’État pour faire un tour en avion. On donnera toujours raison au jeune con qui insulte quelqu’un, ne serait-ce que parce qu’au JT des journalistes prétendent donner des leçons de respect à un jeune homme tout en l’appellant « jeune de quartier » — a-t-on déjà vu un bandeau portant l’inscription « vieux bourgeois » ? On donnera toujours raison au jeune con qui fait des fautes de grammaire, ne serait-ce que parce qu’il y a des vieux cons qui inscrivent leurs enfants dans de bons lycées où ils ne risqueront pas d’être ralentis par des enfants d’immigrés qui parlent une autre langue à la maison.
Bien sûr, on ne défend pas une société de violence. On s’étonne juste que ce soit toujours aux pauvres qu’on demande de montrer l’exemple. On s’étonne que des gens se permettent de donner des leçons, au motif du fait qu’ils sont journalistes, intellectuels, politiques : de tous ceux-là (nous inclus) combien savent vraiment ce que c’est que la précarité ? On s’étonne que le Parti Socialiste se soit rallié avec tant de ferveur au slogan « intolérance infinie », ou quelque chose comme ça, juste pour montrer qu’il n’était pas « naïf » sur les questions de l’insécurité. On croit qu’il est bien naïf de croire qu’on décide de devenir chômeur ou délinquant par plaisir.
Voilà notre première grande idée pour refonder la politique : certains politiciens proposent l’idée d’enlever les allocations familiales aux parents des délinquants ; on propose, nous, de baisser les impôts des enfants de ces politiciens — pour les dédommager d’avoir été élevés dans une si piètre idée de la solidarité humaine.

R de réel, mai 2002.

 

 


 


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