ALCOOL
 
R de réel
Volume A (janvier 2000)
Dictionnaire
(Articles)

Une dame sort d’une épicerie fine, son porte-monnaie encore à la main. Des clochards lui demandent une pièce ; son sac est lourd ; elle esquisse un geste - mais à temps elle se ravise ; il y a ceux qui méritent de l’aide et il y a les autres, or comment ces clochards pourraient-ils être méritoires ? Une bouteille de rouge vide gît à côté d’eux ; ils marmonnent des insanités et laissent le temps filer.
Chacun, lorsqu’il passe devant des pauvres, se sent le droit de juger la façon dont ils devraient se conduire. On ne peut donner à tout le monde, alors on cherche des critères : une dame respectable ne saurait encourager l’alcoolisme, voilà semble-t-il un critère irréprochable.
C’est pourquoi la dame élégante passe devant les clochards alcooliques le pas vif, le regard réprobateur et la conscience en paix. La voilà déjà de retour chez elle. Elle dépose son sac d’achats, en sort quelques fruits, des amuse-gueules et une bouteille de Bordeaux. Son mari qui déjà sirote un whisky finira la bouteille au dîner, et ira se coucher empli de bien-être.
Refuser aux pauvres les vertus du vice, tel est le privilège des riches.
Ceux-ci se soûlent au whisky 20 ans d’âge, ceux-là au vin de table 20 ans sans avenir. Différence de flacon, non d’ivresse.
Il est des gens qui voudraient décréter la prohibition pour les pauvres, et porter un toast à cette avancée de la vertu.
 
 
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