MÉTÉO MENSUELLE janvier 2000 (Dans chaque volume, la météo lié à un thème) |
R de réel
Volume A (janvier 2000) Imaginaire |
1er janvier.
Lendemain de réveillon. Mal de crâne, j'ai abusé
sur le champagne hier. Pour me remettre en forme, un peu de théorie
économique. Je me replonge dans mes classiques. Ecole de Chicago :
« Trop d'impôts tuent l'impôt ». Depuis
des années, je sens que cette phrase est à la fois fondamentale
et insuffisante pour réunir notre électorat. Les discours
libéraux des législatives 1986 ou des européennes
1999 ont montré leurs limites - on ne peut fonder une majorité
sur ce simple terme. Je constate que ces élections ont toujours
eu lieu aux alentours du mois de juin. Et alors ?
3 janvier.
Je relis ces lignes. J'ai le sentiment de n'être pas loin d'une
grande découverte. Pour l'instant, rien. « Trop d'impôts
tuent l'impôt », d'accord. Il faudrait un second principe :
« trop de mandats tuent le mandat » (contre le cumul
des mandats) ? « Trop d'hommes tuent les hommes »
(pour la parité) ? Ces idées sont déjà
défendues à gauche. Le chemin est long encore avant de refonder
la droite sur des bases saines. Longues plages de découragement.
Même Jacques Faizant dans Le Figaro ne me fait plus rire.
7 janvier.
Rentrée parlementaire. Je me tiens à l'écart de
mes collègues qui racontent leurs vacances. Il y a dans notre parti
deux groupes distincts : ceux qui partent aux Antilles, et ceux qui
vont à Courchevel. Cette constatation triviale me fait réfléchir :
y aurait-il un lien entre les préférences météo
et les convictions politiques ? La tendance bonapartiste du parti
est allée à la neige, la tendance libérale au soleil.
Longues réflexions là-dessus. Je fais un organigramme du
parti en tenant compte de ces deux variables. Cela ne donne rien.
9 janvier.
Pour la première fois, j'ai l'impression de sentir quelque chose.
Le temps. La météo. Articulée à la question
des impôts. Il y a quelque chose là-dedans, j'en suis sûr.
La gauche néglige totalement la question. Nous aussi, mais ça
ne va pas durer. Je crée, au sein de mon cabinet, une cellule chargée
de réfléchir. Pour l'instant, rien de concret. Trop d'énarques.
Pour rire, je leur dis « Trop d'énarques tuent les énarques »,
mais ça tombe à plat.
12 janvier.
J'ai mis fin aux activités de la cellule. Trop de bla bla intello,
on n'était pas assez proches des préoccupations du peuple.
Depuis ce matin, une branche spéciale d'IPSOS fait des sondages
selon la méthode « perlée-thématisée » :
on interroge un échantillon représentatif de la population
sur des questions très larges ou au contraire très fermées
sur la météo. Puis on en tire des statistiques. Cela me coûte
très cher, j'ai dû toucher à la caisse noire du parti.
Mais je sens que le succès sera au bout.
15 janvier.
Résultats de l'enquête IPSOS. Cela part dans tous les
sens. Pas d'idées dominantes. Je sais dorénavant que le proverbe
« Noël au balcon, Pâques au tison » est
fréquemment employé ou régulièrement employé
par 53% des femmes de plus de 49 ans habitant au nord d'une ligne Le Havre-Dijon.
Je ne suis pas sûr d'aller très loin avec ça. Intense
sentiment d'échec. Je pense à me retirer dans ma maison du
Lubéron. En plus il fait gris tout le temps, ça n'améliore
pas le moral. La gauche est toujours au plus haut dans les sondages.
19 janvier.
Ça y est. Enfin, je crois. C'était évident !
C'est mon boulanger qui m'a soufflé l'idée ce matin :
dans la même phrase, il s'est plaint des nuages sur Paris et des
charges trop élevées pour les artisans. Cela a fait tilt
dans ma tête : « Trop d'impôts tuent l'impôt.
Trop de mauvais temps tue le temps ». J'ai tout de suite noté
le slogan dans une page de carnet que j'ai déposé dans mon
coffre, de peur de le perdre ou de me le faire voler. Journée intense :
commande expresse d'un sondage croisé sur le mécontentement
face aux impôts et au mauvais temps. Au parti, j'ai convoqué
une standardiste, qui est de Marseille : je l'ai longuement faite
parler du soleil, du beau temps, et, par opposition, des problèmes
que posent les nuages gris et sombres. Discours fort et vrai : j'en
ai tiré une première note, intitulée : « la
gauche au pouvoir, c'est le mauvais temps perpétuel ».
Ce n'est qu'un début, il reste à améliorer le concept.
Grande excitation que je ne partage avec personne au parti, je garde mes
idées pour moi (et pour mon journal). Ce serait la meilleure si
je me faisais piquer l'idée par N... ou P... qui en profiteraient
pour se présenter ensuite aux présidentielles. Demain, résultats
du sondage.
20 janvier.
Aujourd'hui, tout me paraît clair : relisant mon commentaire
du 15 sur le mauvais temps, je comprends que j'étais déjà
sur la bonne piste. Selon le sondage IPSOS, 85,2% des Français se
disent favorables à une baisse des impôts, et 78% de la population
souhaite une « nette ou très nette amélioration
du temps au mois de janvier ». Et, au total, 94% acquiescent
à l'une ou l'autre de ces propositions. Tout cela est tellement
limpide que je ne comprends pas pourquoi personne n'y a pas pensé
avant. « Trop d'impôts ; trop de mauvais temps » :
voilà le cocktail que propose la gauche pour le pays. Reste à
trouver un programme qui puisse convaincre les Français sur ces
bases. Je réunis le conseil politique du parti dans cinq jours afin
de faire mes propositions. La cellule météo de mon cabinet
est réactivée. A l'Assemblée, je passe les séances
à noter, hagard, des idées. Les copains me croient fou. Ils
ne savent pas que je suis en train de révolutionner la droite libérale.
24 janvier.
Journée à marquer d'une pierre blanche. A la veille du
conseil politique, je n'avais pas grand-chose à proposer comme programme,
juste quelques mesures : TVA réduite à 2% sur les parapluies,
imperméables, bonnets et gants ; baisse des charges pour les
entreprises qui fabriquent des soleils en crépon ; accès
gratuit des citoyens aux répondeurs de Météo-France...
Pas de quoi refonder la droite. Et ce soir, lors de la dernière
réunion de cabinet, quelqu'un a fait cette proposition - qui est
maintenant le point-clé de notre programme : on supprime les
taxes sur l'essence, ce qui entraîne rapidement une forte hausse
du nombre de voitures, hausse qui a pour conséquence une augmentation
de la population, qui provoquerait alors un réchauffement de la
planète. Au cabinet, un économiste et un météorologiste
ont calculé qu'à long terme, des palmiers pousseraient à
Reykjavik, mais surtout qu'à court terme, le soleil brillerait un
minimum de 17 jours lors d'un mois de janvier-type. J'ai proposé
le slogan suivant : « Moins de taxes, Plus de soleil ».
Dans mon discours de demain, je vais montrer que chaque Français
méritant pourra rouler en Porsche décapotable à 2,25F
le litre. « C'est la plus grande avancée sociale depuis
les congés payés », voilà ma conclusion.
25 janvier.
Tout s'est bien passé. D'abord, le conseil politique: le parti
a entériné à une très forte majorité
mon projet ; seuls quelques grincheux, toujours bronzés
- on se demande bien comment - ont voté contre. Ensuite, conférence
de presse convoquée à la hâte et au cours de laquelle
j'ai exposé mon programme devant des journalistes médusés.
Ce soir, le tout-Paris ne parle que de ça. J'ai reçu à
la maison un mot d'encouragement de Pierre Messmer : « Vous
renouez avec le gaullisme de la grande époque, en proposant des
mesures qui ne sont ni de gauche, ni de droite, mais tout simplement adaptées
à tous les français. Le Général aurait été
fier de vous ».
30 janvier.
Les sondages indiquent que nous sommes passés très largement
en tête. Un haut responsable socialiste, après nous avoir
traités de « géotrouvetout météorologiques »,
a déclaré que la gauche « n'allait pas laisser
le monopole de la météo à la droite ».
Je leur souhaite du courage. Des idées comme ça, on en trouve
une tous les trente ans. Aujourd'hui, premier jour de grand soleil après
un mois de grisaille.
(c) R de réel 1999. Reproduction interdite.